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Auprès du compositeur Pascal Dusapin, par Olga Garbuz

Étonnamment, il n'existait pas encore d'ouvrage de synthèse sur l'œuvre de , l'un des compositeurs vivants les plus joués. Cette étude fouillée et éclairante d'Olga Garbuz vient combler une lacune, abordant, sinon l'intégralité, du moins une part importante du catalogue du compositeur.

Si a toujours tenu à « garder le secret », s'agissant de l'aspect technique de son écriture, l'auteure tente d'en « percer le mystère » en en dévoilant certaines clés d'analyse : sans toutefois s'aventurer trop avant dans l'exercice analytique, toujours redoutable pour le lecteur, ni minimiser l'importance du « pré-texte », ouvrant un champ d'étude foisonnant où se nourrit l'imaginaire du créateur.

« Dusapin reste sciemment en dehors du discours musicologique traditionnel » note Olga Garbuz qui expose dans un premier chapitre les multiples domaines, tant philosophique (Gilles Deleuze), mathématique (René Thom) que stylistique (Samuel Beckett) où s'est forgée la pensée créatrice du compositeur. Il faut y ajouter le cinéma et la photographie, qu'aime pratiquer Dusapin, et dont témoigne le luxueux feuillet iconographique à la fin du livre.
L'élaboration formelle chez Dusapin réfère au concept du rhizome, aux algorithmes et autre modèle fractal ou encore au théâtre de Beckett : pour exemple, le Quatuor à cordes n°5 intitulé « Mercier et Camier » s'articule en huit sections, suivant les huit chapitres du récit beckettien. En 1991, date à laquelle il débute son premier Solo pour orchestre Go, Dusapin, imprégné de la théorie de la morphogénèse de René Thom, décide de composer 7 Études pour piano, 7 Solos pour orchestre, 7 quatuors à cordes et 7 opéras : un corpus, terminé à ce jour, auquel s'attache la musicologue, chaque œuvre, dit-elle, s'écrivant sur la précédente selon le modèle du palimpseste.

C'est dans l'écriture du premier Solo pour orchestre que l'auteure déchiffre, exemples à l'appui, ce qu'elle nomme « le mode secret » du compositeur : trois tétracordes issus de la même échelle dite octotonique (à 8 sons), formés sur le monogramme de , en vertu des correspondances établies entre hauteurs de notes et lettres du solfège anglo-saxon. Les 7 Solos pour orchestre (faisant écho aux monologues de Beckett) sont étudiés à l'aune de ce « gène » unique d'où dérive toute la musique du compositeur depuis 1992, affirme Olga Garbuz. Au fil de la lecture, croquis et schémas préalables illustrent les processus d'arborescence, ramification et dérive rhyzomatique au cœur de la conception formelle : une méthode que Xenakis, seul maître de Pascal Dusapin (mais qui n'a pas connu Deleuze) a, lui aussi, mise à l'œuvre. Le cinquième Solo, Exeo (2002), lui est d'ailleurs dédié.

Passionnant, le quatrième chapitre referme le corpus étudié avec les 7 opéras, autre monumental palimpseste perpétuant l'écriture du mythe : Roméo et Juliette, Médée, Faust, Orfeo... Si le plus récent, Penthésilée (2015) n'y figure pas, Olga Garbuz mentionne en revanche Opéra de feu (2010), spectacle pyrotechnique certes moins connu, interrogeant l'avenir du genre. Jamais peut-être la recherche d'une nouvelle forme d'opéra n'aura été aussi loin menée, dans le sens du « déplacement de la logique linéaire du temps musical » dont parle l'auteure, que dans To Be Sung (1993). L'ouvrage scénique est conçu à quatre mains avec l'artiste américain James Turrell. La technique du cup-up (couper et monter), très souvent mentionnée dans le livre, est ici utilisée par Dusapin pour « réécrire » le texte de Gertrude Stein, en référence toujours au modèle du palimpseste. Mot clé pour pénétrer l'univers du compositeur, le paradigme du palimpseste serait, pour Olga Garbuz, « un prétexte au fondement d'une nouvelle dimension esthétique à venir ». De quoi méditer assurément !

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