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Dmitri Hvorostovsky, le baryton de l’âme russe

Dmitri Hovorostvsky n’aura jamais renoncé…

C’est ce qui frappe lorsque l’on observe son agenda de ces deux dernières années alors même que la maladie l’emportait peu à peu. Contraint d’annuler dès 2015 toute une série d’engagements pour pouvoir se soigner et se reposer, il revient au Metropolitan Opera de New York dans un Trouvère triomphal où il semblait avoir retrouvé ses forces et sa voix. Le public en délire l’a couvert de fleurs pour le remercier peut-être, l’encourager surtout. Il enchaînera ensuite les représentations, les concerts et enregistrements (un Rigoletto est à paraître chez Delos, et précédemment War, Peace, Love & Sorrow Clef d’or ResMusica 2016), de telle sorte que plus personne ne croyait la fin inéluctable. Pourtant, l’une de ses dernières apparitions dans un récital donné dans sa ville natale en Sibérie à Krasnoïarsk, le 2 juin dernier, le montrait physiquement très fragilisé mais toujours digne et noble. Un ultime retour aux sources avant le passage ? Toujours est-il que c’est la ville qui l’a vu naître en 1962 qui aura entendu ses derniers feux qui illustrent à merveille sa passion pour son métier, son courage et sa ténacité.

Dmitri Hvorostovsky était le genre d’artiste qui déclenche les passions du public, grâce au charisme de ceux qui croient en ce qu’ils font. Non sans humour, Renée Fleming raconte dans son livre autobiographique The inner voice les hordes d’admiratrices qui faisaient la queue devant sa loge au Met. Elles étaient folles de sa chevelure cendrée à la Richard Gere et de son physique athlétique assez rare encore dans les années 90 chez les chanteurs lyriques. Tout de suite, il a été un chanteur atypique par cette animalité contenue qu’il dégageait, cet engagement total dans chacun de ses rôles, qu’il soit romantique, autoritaire ou pervers. Mais on ne peut réduire Hvorostovsky à une présence physique : la voix était somptueuse et c’est cette voix qui lui permettra de remporter le fameux concours de la BBC de 1989 face à Bryn Terfel avec un air extrait d’Un ballo in maschera et qui lancera sa carrière internationale.

Dès lors, Dima, comme ses amis et collègues aimaient à l’appeler, s’est produit sur la plupart des grandes scènes du monde (Mariinsky, Metropolitan Opera, Covent Garden, Wiener Staatsoper, Opéra Bastille, Festival de Salzbourg, Scala, etc), avec de prestigieux partenaires (Luciano Pavarotti, Renée Fleming, Roberto Alagna, René Pape, Jonas Kaufmann, Anna Netrebko, Elina Garança etc) et dirigé par les plus grands chefs (James Levine, Valery Gergiev, Semyon Bychkov, Bernard Haitink, Seiji Ozawa, Zubin Metha, etc). Cette belle carrière lui aura permis d’aborder quasiment tous les répertoires (Mozart, Rossini, Bellini, Donizetti, le vérisme italien, Rubinstein) et de se forger une solide technique avant de se concentrer sur ce qu’il aimait et savait défendre le mieux : les grands rôles russes et verdiens.

Tout le destinait à cela. La puissance de l’émission, une voix de baryton qui éblouit par son ampleur, qui subjugue par ses couleurs sombres et moirées, des aigus aussi faciles que ses graves étaient denses et veloutés, une ligne de chant toujours impeccablement menée quels que soient les pièges tendus par les compositeurs. Sa présence scénique naturelle, sa silhouette et son approche intime de chaque rôle lui permettait d’incarner tous ses personnages en conservant sa singularité, adaptée en fonction : dignité, fierté et une forme de hiératisme sont les maîtres mots de ses prestations. Il fut un immense Luna, un Germont atypique, un Bolkonsky magistral mais si on ne devait en retenir qu’un ?

Onéguine évidemment ! Le plus grand, le plus abouti de ces trente dernières années. Le New York Times avait écrit à juste titre qu’il était « né pour incarner le rôle ». Et il le fera, jusqu’au début de cette année qui le verra disparaître. Une captation existe des extraordinaires représentations du Metropolitan Opera avec une Renée Fleming se réchauffant à sa flamme et un Valery Gergiev des grands jours. On aura rarement entendu un dernier acte aussi incandescent. Incarner un fat imbécile et futile, le ramener progressivement dans la communauté des humains et montrer sa béance, son désespoir et sa difficulté à vivre. Voilà ce que savait faire Hvorostovsky qui, à travers ce personnage, faisait renaître toute une culture, une poésie, une âme russe dont certains esprits incorrigiblement romantiques raffolent.

Pour nous consoler de son absence, il nous reste une discographie, importante mais pas toujours bien distribuée. On y distingue notamment un enregistrement de mélodies russes dirigé par le chef Constantine Orbelian et qui témoigne de son art du phrasé, profondément incarné, teinté de nostalgie et d’espoirs. Un superbe Onéguine dirigé par Bychkov nous rappelle les représentations du Châtelet au début des années 90. Une salle qui aura permis aux Parisiens de l’entendre une dernière fois le 12 novembre 2016, dans un récital où il interpréta, inlassablement, ces mélodies russes qui l’auront accompagnées toute sa vie.

Crédits photographiques : © Pavel Antonov © Beatriz Schiller

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