- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Křenek et Ullmann pour les jeunes chanteurs de l’Opéra de Munich

Le Dictateur de Křenek et La cruche cassée d'Ullmann, composés en 1928 et 1942, sont deux facettes d'une même inquiétude politique, peu reflétée par le spectacle proposé.

Chaque année, les jeunes chanteurs de l'Opernstudio de l'Opéra de Bavière sont les vedettes d'un spectacle qui bénéficie toujours du même cadre prestigieux, le Cuvilliés-Theater, reconstruction d'un théâtre baroque construit en 1755 par François de Cuvilliés. La courte soirée de cette année (à peine plus d'une heure de musique) réunit deux opéras très brefs composés à moins de quinze ans de distance, mais très différents : si un décor unique les réunit, le choix de deux metteurs en scène différents met en évidence cette hétérogénéité. Ce qui les réunit, outre leur brièveté, c'est l'hostilité aux régimes dictatoriaux de leur temps : dans Le dictateur, Krenek s'intéresse au pouvoir de fascination qui est à la base du pouvoir de Mussolini ; avec La cruche cassée adaptation en 1941-1942 de la féroce comédie de Kleist, Ullmann y voit d'abord la peinture d'une justice pervertie où ceux-là même qui sont chargés de faire régner le droit et la justice sont les plus grands coupables.

Qui a cassé la précieuse cruche de Dame Marthe, en mettant en doute au passage la moralité de sa fille Eve ? Le juge Adam chargé de trancher est arrivé bien mal en point à la session, et il s'empêtre dans ses explications ; son zèle à condamner Ruprecht, l'amoureux d'Eve accusé par sa mère, est ardent, mais il a beau accumuler les mensonges : le coupable, c'est lui ! En adaptant le texte acéré et très drôle de Kleist sous forme d'un court opéra d'une quarantaine de minutes, Ullmann a certes pris en compte les nécessités du temps qui ne lui permettaient plus d'envisager un plus grand format, mais il faut bien avouer que, malgré la pertinence de son interprétation contemporaine, il laisse ainsi s'évaporer une partie de la saveur inimitable de la pièce.

La pièce d', à vrai dire, est plus succincte encore, avec une durée de vingt-cinq minutes : c'est trop peu pour pouvoir développer un livret qui dépasse le schématisme, et ce livret sans force n'est pas sans conséquence sur la musique : on attendra avec grand intérêt la production de son Charles Quint l'an prochain, cette fois au Nationaltheater, pour retrouver un Krenek plus stimulant. La mise en scène elle-même, dans l'espace fermé que constitue une sorte de boîte en guise de décor, ne trouve pas grand-chose à en dire ; les voix des jeunes chanteurs y montrent leur beauté sonore, mais leurs qualités interprétatives ne sont guère sollicitées.

La cruche cassée s'en sort mieux, parce que la musique d'Ullmann a une force bien différente : dans une époque comme la sienne, avoir un talent pour la comédie n'était peut-être pas le meilleur atout, mais le ténor Long Long, par exemple, s'en donne à cœur joie pour restituer toute l'ironie de son personnage, le greffier qui a compris bien avant tout le monde les turpitudes de son lamentable patron. Celui-ci, chanté par , n'est pas en reste. Chez les dames, c'est surtout , déjà remarquée dans un triste Obéron, qui retient l'attention ; cette fois, la mise en scène parvient mieux à créer de la vie sur scène, sans aller jusqu'à dépasser l'anecdote. La soirée n'offre pas de grandes émotions, ni de découverte inoubliable, mais cette double plongée dans l'avenir de l'opéra et dans l'histoire musicale de l'époque des totalitarismes vaut tout de même le voyage.

Crédits photographiques : photo 1 : La Cruche cassée, photo 2 : Le Dictateur © Wilfried Hösl

(Visited 313 times, 1 visits today)