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Martin, Martinů : perles de la musique chorale du XXe siècle

Après des productions consacrées à la musique chorale de Francis Poulenc et d'Olivier Messiaen, l', sous la direction de , se livre à l'exploration des œuvres de deux compositeurs nés en 1890, dont le nom pourrait prêter à une confusion pour les non-initiés : Martin et Martinů. L'album témoigne, autant par la diversité du répertoire que par le caractère des prestations, d'une richesse étonnante des partitions interprétées.

Le disque s'ouvre par la Messe pour double chœur a cappella de , composée entre 1922 et 1924 dans un style « archaïque moderne », complétée en 1926 par un Agnus Dei, et créée seulement une quarantaine d'années plus tard, en 1963, à Hambourg. Comme l'indique son titre, cette messe est écrite pour des cori spezzati, c'est-à-dire deux groupes de quatre voix, conformément à la technique de composition que Martin emprunta à la musique de la Renaissance, mais également à celle de Jean-Sébastien Bach dont il appréciait largement l'œuvre. Par sa structure, celle de l'ordinarium missae, cette page s'inscrit dans un legs grégorien, notamment par l'introduction de longs mélismes passant de chœur en chœur – très purs et lumineux dans cette interprétation –, renvoyant au plain-chant, de même que des tenues de notes rappelant le faux-bourdon médiéval. La riche polyphonie qui y est déployée, non sans références à l'héritage dudit Bach, est rendue avec simplicité et avec un naturel de phrasé, tout comme avec vigueur et passion dans les passages les plus dramatiques. Pour le Credo – où le chant n'est pas confié à un soliste, comme d'habitude pour ce type de compositions, mais soumis à l'exécution par tous les choristes – nous sommes impressionnés par la limpidité des tons et des nuances, le charme des voix homogènes, ainsi que par leur diction, irréprochable pour toutes les œuvres proposées sur ce disque (même pour le tchèque !). Pour le Sanctus – débutant par un simple ostinato de voix masculines auxquelles ne tardent pas à se joindre les sopranos, éblouissantes, des deux chœurs –, on est frappé par la manière dont ceux-ci dialoguent, avec une sensibilité musicale élevée et beaucoup d'énergie, de sorte que la tension n'arrête pas de s'accroître tout au long du mouvement, se clôturant sur une sonorité si forte et dense que la prise de son est marquée par des légers craquements. Par effet de contraste, l'Agnus Dei, pour lequel le chœur II paraît limité à un simple appui harmonique du chœur I, commence dans une atmosphère rassurante, soulignée par un legato de belle facture et d'une élégance, suavité et pureté rares. Là où l'intensité parvient à son plus haut degré, cette ambiance se dégrade lors d'une émission forte de quelques accords dissonants, néanmoins un diminuendo, accompagné d'un délicat ralentissement du tempo, signale une remise en état initial rapide, se maintenant jusqu'à la fin de l'exécution.

Les Quatre chants sur la Vierge Marie de Bohuslav Martinů – achevés en 1934, inspirés par des mélodies et textes folkloriques tchèques – nous emmènent dans un monde complètement différent de celui de la messe latine. Composés à quatre parties, et de taille assez modeste, ces miniatures vocales sont d'une beauté touchante, tout comme d'une grande intimité, voire d'une austérité contemplative. Dans le premier morceau, intitulé L'Annonciation, on est mis face à la scène de la proclamation de la maternité divine faite à la Vierge Marie par l'archange Gabriel, qui – au niveau des harmonies et de l'expression – nous fait ressentir l'anxiété qu'éprouve la jeune femme. Les choristes illustrent cette angoisse par des modulations du tempo et d'intensité, offertes sous forme de séquence de crescendos et d'accélérandos, après lesquels la déclamation du texte revient à son état d'origine (Marie accepte la volonté de Dieu). Le chant suivant, Un rêve, nous apporte une vision onirique d'un repos de la Vierge au paradis, renvoyant par les multiples couleurs dont s'imprègnent les voix des interprètes, données en demi-teintes, à des fresques et vitraux aussi lumineux qu'éloquents d'une vieille église villageoise. La troisième pièce du cycle, Petit déjeuner de la Vierge Marie – dont les paroles purement conceptuelles n'ont rien à voir avec les dogmes de la foi catholique –, nous fait réaliser à quel point cette musique, mise en évidence par une exécution pleine de tendresse et de poésie, est enracinée dans la culture slave, dont les élans populaires se voient traduits ici en psalmodie classique. Le dernier chant, L'Image de la Vierge Marie, magnifie l'icône de la Madone Noire de Częstochowa, ville polonaise, tout en racontant l'histoire de l'élaboration de cette peinture (dont l'origine reste pour d'aucuns une énigme à ce jour, la tradition l'attribue à Luc l'évangéliste), ainsi qu'en expliquant l'origine des deux rayures dues à des coups de sabre, visibles sur la joue gauche de la Vierge. La lecture proposée par la formation danoise met en valeur la clarté des polyphonies et l'expressivité un brin exempte toutefois, bien que coulant du cœur, du dramatisme caché sous les paroles du récit. L'équilibre est ainsi trouvé entre l'objectivisme (qu'on comprend parfois comme une distance émotionnelle) et l'exagération susceptible de prêter à l'hystérie ou au ridicule.

Hormis la Messe pour double chœur, écrivit encore, en 1950, une œuvre a cappella : Cinq chants d'Ariel, composés à un nombre de parties variable, dont la quantité va jusqu'à seize, de même que constitués de passages pour une voix seule, baryton et alto, qui n'interviennent cependant qu'exceptionnellement. Pour les animer, Martin se sert de techniques de chant variées, en attachant la plus grande importance à la signification du texte en vue d'établir un fil conducteur entre les paroles et la musique. D'une virtuosité sensible mais pas démonstrative, ses miniatures impressionnent autant par la multitude de teintes que par la complexité de textures et d'harmonies, rendues par la phalange danoise avec une certaine sobriété expressive inhérente à leur caractère introverti et intimiste. Créés en 1953, les Cinq chants d'Ariel sont élaborés à des textes anglais de La Tempête de William Shakespeare, confiés par celui-ci à Ariel, l'un des personnages les plus curieux et, à la fois, les plus emblématiques de l'ouvrage : un esprit. Cette pièce de théâtre a dû inspirer profondément l'artiste suisse qui, en outre, façonna sur sa base, entre 1952 et 1954, un opéra Der Sturm, dont l'ouverture et le point final de l'épilogue, pour n'en citer que deux exemples, reprennent le matériel thématique du second des Chants d'Ariel, dénommé Full fathom five. Nous sommes enchantés par la richesse imaginative que le compositeur y déploie, et la façon dont il crée l'image des profondeurs mystérieuses de l'océan, en introduisant un ostinato renvoyant à une sonnerie de l'horloge – le chœur déclame avec grâce des « Ding dong, bell » répétitifs, agrémentés de rythmes inquiétants, habilement tissés dans la subtile enveloppe harmonique de l'œuvre –, ayant ici pour but d'illustrer les coraux et les perles gisant au fond du bassin en tant que restes transformés d'un être humain noyé. Parmi les solistes, on saluera particulièrement dont l'alto profond, onctueux et suggestif nous donne le frisson dans le morceau You are three men of sin, où Ariel qu'elle incarne, jette un sort sur trois des ennemis de Prospero.

L'album se clôt par une cantate de chambre pour chœur mixte et soprano, La Romance des pissenlits, composée par Martinů aux alentours de 1957, sur des vers tchèques du poète Miloslav Bureš. La partition trouve en cette exécution un enrichissement de texture musicale par une « intervention » d'un vrai tambour militaire – symbolisant l'apparition d'un soldat – par l'intermédiaire de laquelle s'efforce de rendre le propos du texte chanté plus éloquent. Nous sommes témoins d'une tragédie amoureuse : une jeune femme, dont les déclarations sont commentées et complétées par celles du chœur, attend depuis sept ans que son bien-aimé, ledit militaire, revienne de la guerre. Son chagrin et sa langueur sont ici évoqués par Klaudia Kidon, dotée d'un soprano simple, non-tubé et cristallin, mais un peu inexpressif. Par ailleurs, cette « fadeur » d'expression (surtout un manque de ferveur) caractérise également la prestation donnée par les choristes, dont la déclamation ne semble pas rendre justice, par moments, aux émotions dont cette page est emplie.

Avec l'effectif de vingt-quatre chanteurs (six sopranos, six altos, six ténors et six barytons), l' sous la direction attentive et équilibrée de rend hommage et reste fidèle aux plus grandes traditions musicales du pays scandinave. La présence dans le livret d'une traduction bilingue anglais-tchèque des textes chantés rend l'écoute du disque plus agréable et plus enrichissante. À recommander à tous les amateurs de musique chorale.

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