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Papillon noir de Yann Robin en version de concert à Gennevilliers

Inspiré par le livre tibétain des morts (Bardo Thödol) et donné en version de concert à Gennevilliers quelques jours après sa création à Marseille avec une mise en espace, Papillon noir est une descente dans l'espace de la mort imaginée par Yannick Haenel et .

L' (treize musiciens) et le chœur Les Métaboles sont sur scène pour cette version de concert dirigée par , le chef ayant présenté cette création avec mise en espace à ResMusica il y a quelques semaines. En charge du texte de Yannick Haenel, , actrice-chanteuse selon les mots du compositeur, est en fond de scène, munie d'un micro serre-tête. Un dispositif électronique léger, assurant amplification et réverbération, modèle l'espace dans lequel se joue le monodrame.

Une femme vient de se faire renverser par une voiture. Elle est cliniquement morte mais sa conscience semble encore vive. « Je suis vi-vante » insiste-t-elle au fil du monologue. Après le récit, à sa mère et au téléphone, de ce qui vient de lui arriver (premier Passage), c'est son passé qui rejaillit par flashs de mémoire et arc-en-ciel de couleurs, entre émotions amoureuses et vision fantasmée, celle d'un ange dont l'image a subitement disparu de son existence (deuxième Passage). Dans le troisième Passage, la conscience du personnage semble s'affaiblir. L'héroïne erre dans un espace qu'elle ne reconnaît plus, sa voix et son être prêts à disparaître dans le néant.

s'empare de ce texte écrit sur mesure et confère à l'espace noir et paroxystique de Yannick Haenel l'intensité et la fulgurance sonore qu'il sait impulser à travers son écriture singulière : flamboyance des timbres, impacts des cuivres avec slaps (clarinette contrebasse) et multiphoniques, techniques d'archet spécifiques sur les cordes et omniprésence d'une percussion très résonnante, à laquelle participe le piano souvent joué dans les cordes. L' est en pleine effervescence pour éprouver le passage de vie à mort dans un prélude qui nous secoue physiquement. Mais la tension et ses relances périodiques ne s'expriment pas uniquement dans cet excès d'énergie instrumentale. confie au chœur, inséré dans l'orchestre, une partie très expressive, qui creuse la profondeur de champ et embrase l'espace sonore dans des instants suspensifs d'une étrange beauté. Le texte du Bardo Thödol qu'il chante est utilisé bien davantage comme un matériau sonore, imprégnant les textures colorées des voix. Il est aussi prétexte à des séquences bruiteuses, tel ce halètement primitif des voix d'hommes dans le troisième passage, rejoignant la transe du rituel. Les subtilités acoustiques offertes par les techniques d'émission vocale, souffle, granulations gutturales, murmures et chuintements, qui relaient les modes de jeu instrumentaux, ouvrent des perspectives nouvelles dans l'esthétique de la saturation.

Actrice-chanteuse avons-nous dit, a bel et bien devant elle une partition, écrite avec une précision rythmique absolue. Elle chante, nous dit Yann Robin, d'une voix certes parlée – et ô combien éloquente – mais fluide et envoûtante, sans jamais forcer le trait et dans une interaction constante avec ses partenaires. À trois reprises, l'ensemble instrumental et le chœur submergeant la voix parlée convergent en une scansion sauvage et incandescente. Acteur lui aussi d'une dramaturgie qui nous tient en haleine durant quelques quatre-vingt minutes de spectacle, règle les équilibres et modèle les énergies avec assurance. Autant d'ondes positives qui nous laissent dans l'attente d'une mise en scène prévue à Rennes dans la saison 2019-2020, pour donner à l'opéra sa pleine mesure.

Crédits photographiques : © Florence Riou

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