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Ballet de Stuttgart : une explosive Lulu dansée signée Christian Spuck

Comme lors de la création en 2003, la pièce Lulu de Wedekind magnifie une interprète d'exception, .

Tout juste nommé chorégraphe en résidence à Stuttgart, avait réalisé pour le Ballet de Stuttgart son premier grand ballet narratif ; c'était en 2003. Quinze ans plus tard, toujours à la demande de Reid Anderson, il en réalise une nouvelle version, avec selon ses dires des décors moins chargés et un travail plus approfondi sur la théâtralité de la danse.

Adapter la foisonnante Lulu de Wedekind pour la danse est un défi de taille, et ce d'autant plus que Spuck en a tiré une pièce qui ne dure qu'à peine 80 minutes (sur un choix musical qui, cela mérite d'être souligné, est à la fois constamment pertinent et au même niveau que la chorégraphie). La force de ce travail est qu'il parvient presque entièrement à se débarrasser des pièces obligées qui viennent rompre le récit et que Spuck parvient à intégrer la narration et la danse à un point rarement atteint. La représentation de ce samedi tire profit de la présence de deux interprètes exceptionnels. À la création du ballet, était encore à l'école de danse, tandis qu' faisait partie de la première distribution du ballet. Ceux qui connaissent l'opéra de Berg seront sans doute surpris que Spuck ait choisi un danseur aussi jeune dans le rôle du vieillard Schigolch : c'est qu'il en fait une figure tutélaire, presque intemporelle. Il y a du souteneur, implacable et insinuant, dans ce personnage, mais plus encore : c'est une figure du destin. Son premier solo, au lever du rideau, est accompagné par la récitation morbide des crimes de Jack l'éventreur. a la séduction du diable, et la vivacité du mouvement, cette manière imprévisible de jeter ses membres en extension, ce regard inquisiteur accompagnant la trajectoire fatale de Lulu en une sorte de commentaire permanent qui en souligne l'inéluctabilité.

, elle, a créé le rôle-titre il y a presque quinze ans, à l'orée de sa carrière. Si Spuck a renforcé l'aspect théâtral de la pièce, il n'en a visiblement pas atténué les difficultés techniques, dont la moindre n'est pas la diversité des exigences qu'il lui demande. Au premier acte, la partie la plus brillante de la carrière de Lulu demande une vélocité et une fluidité sans faille, vif-argent, insaisissable, et Amatriain réussit au-delà de la technique à conserver une fraîcheur enfantine derrière le sourire le plus enjôleur ; après l'entracte, les étapes de la décadence de Lulu lui demandent une force beaucoup plus minérale, ancrée dans le sol : Alicia Amatriain n'y est pas moins impressionnante que dans la première partie.

Face à elle, l'admiratrice éperdue de Lulu qu'est la comtesse Geschwitz dispose d'un vocabulaire chorégraphique beaucoup plus réduit : moins qu'une distinction, cette incarnation de la danse classique qu'est la pointe est son carcan, tout comme l'élégance austère de ses robes, et parvient parfaitement à faire voir à quel point Lulu peut être pour elle l'espoir d'une libération de soi-même, mais aussi combien cet espoir est vain. Les différents soupirants de Lulu n'ont pas une présence aussi forte même si la maladresse du peintre (Noa Alves), la brutalité de Schöning (, qui campe aussi un Jack l'éventreur particulièrement marquant) ou la morgue de l'athlète Rodrigo (Flemming Puthenpurayil) sont dramatiquement très justes. Quinze ans après sa création, cette Lulu remise à neuf montre à quel point le Ballet de Stuttgart continue à magnifier les forces qui sont les siennes, la capacité à faire du ballet un vecteur puissant de narration tout autant que l'évidence du travail d'une équipe soudée.

Crédits photographiques : © Stuttgarter Ballett

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