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Le Debussy d’Alexander Melnikov trahi par Érard

aborde Debussy sur piano historique : pourquoi ?

Les pianos historiques, les Érard, les Pleyel, ceux que Debussy toucha de ses mains de faune, conviennent à son imaginaire sonore. Mieux : ils l'auront formé. Mystère, le Érard circa 1885 que joue ici et qu'il a expressément choisi parmi sa collection, avec ses registres dépareillés et son clavier abrupt, ne parvient pas à rendre la poétique du deuxième Livre des Préludes. Il reste prisonnier de la lettre alors qu'il devrait en rendre l'esprit.

Les aigus en bois, le medium creux, les graves enroués sacrifient les suspensions de Brouillards dans des vides de son, éparpillent les Feuilles mortes, assèchent les marais lunaires d'Ondine et font peiner le pianiste qui doit tricoter ferme pour former Les tierces alternées. Dommage, car Melnikov brosse un deuxième Livre sombre et plein de caractère qui aurait pleinement réalisé son introspection dans le confort somptueux d'un beau Steinway moderne.

Dès lors, on doit surprendre l'artiste malgré son instrument pour goûter son propos : écoutez comment ses Fées dansent malgré le clavier court, écoutez surtout le ton moiré de Canope, sa plainte finement esquissée, ou, malgré le clavier poussé à ses limites physiques, le paysage jamais aussi abstrait de Feux d'artifice.

Plus étrange encore, le même Érard joué à quatre mains pour l'éloquente transcription que Debussy réalisa de La Mer sonne tout différemment, d'autant qu' apporte une vie rythmique aiguisée aux trois tableaux. Oserait-elle jouer plus dans le clavier que Melnikov, rapportant soudain de la couleur, où bien les ingénieurs du Studio Teldex ont-il choisi une autre optique de prise de son ? Ce disque imparfait de deux artistes majeurs se découvrant debussystes apporte plus de questions que de réponses.

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