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À Tannay, l’Akademie für Alte Musik et Isabelle Faust

Certains concerts transforment le spectateur. D'autres, le fâchent par l'impression d'avoir été dupé. D'autres encore, le confondent par l'exploit, ou par l'honnêteté artistique.

Après celui offert par et l' dans le cadre du festival des Variations Musicales, on mesure combien l'interprétation musicale reste un travail, un engagement de chaque instant et qu'après l'aspect purement technique, la donne artistique peut encore être difficile à joindre.

Et pourtant, l'impeccabilité de l' offre toutes les garanties d'un moment d'excellence. Avec cette interprétation de la Suite pour orchestre n° 3 de , un cousin de Jean-Sébastien, l'ensemble allemand installe rapidement une atmosphère propice à cette musique. Quel dynamisme, quelle joie communicative, quel enthousiasme ! On se fait plaisir et on a du plaisir. On se regarde, on se comprend, on communie dans la même langue : la musique. Dans le public (comme dans l'orchestre), on échange des clins d'œil entendus, des sourires de satisfaction. Ce n'est même pas la musique, somme toute assez conventionnelle de ce compositeur peu connu qui réunit les suffrages, c'est la jubilation des musiciens à la jouer qui ravit l'audience.

On en redemande. Et les applaudissements nourris arrivent comme une récompense que l'orchestre n'espérait pas aussi chaleureux. Ils imaginaient avoir bien fait leur travail mais, peut-être ne pensaient-ils pas que le public l'aurait aussi bien ressenti. L'arrivée de la violoniste ne peut qu'ajouter à la promesse d'interprétations de haute tenue.

Toutefois, dès les premières notes du Concerto en sol mineur BWV 1056R, transcription du clavecin, la violoniste n'apparaît pas s'intégrer parfaitement avec l'esprit de l'orchestre. Tentant de se fondre dans le climat installé par l'ensemble baroque allemande, le trop beau violon traditionnel d' contraste avec les instruments anciens. Le son de son instrument semble trop lisse et ce n'est pas l'utilisation d'un archet « baroque » qui apporte la solution. Techniquement parfaite, soignant sa sonorité, elle paraît cependant bloquée dans son métier alors qu'on attend l'artiste. Il faudra patienter jusqu'au largo du Concerto en ré mineur BWV 1052R pour qu'elle lâche l'emprise de son savoir, de son contrôle absolu de la note pour que s'échappe le moment suspendu attendu.

Pourtant autour d'elle tout est en place pour s'épancher, se noyer dans la musique de Bach. Elle bénéficie du soutien musical superbe de l'ensemble des cordes de l' et, en particulier, du swing incroyable que le violoncelliste Jan Freiheit imprime à cet orchestre. À l'image d'un big band de jazz américain, le violoncelliste allemand se mue en « section rythmique » avec une tenue des tempos et une anticipation rythmique absolument impeccables. Toute la structure mélodique de l'ensemble repose sur ses attaques de notes, sur une manière de marquer la cadence avec d'imperceptibles appuis de l'archet, même lors de notes tenues. Isabelle Faust ne se trompe pas, lorsqu'en fin de concert, elle lui offre le bouquet de lys blancs qu'elle vient de recevoir.

Autre figure marquante de l'Akademie für Alte Musik Berlin, la hautboïste et flûtiste Xénia Löffler s'affirme comme une musicienne d'exception. Son doublage à la flûte à bec du premier violon dans le Concerto en sol mineur BWV 1056R jouant les traits les plus véloces de la partition sans sourciller, n'a d'égal que son dialogue d'une extrême musicalité au hautbois dans le Double concerto en do mineur.

Crédit photographique : © VMT/FabrizioNassisi

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