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Danser en toute conscience à la Biennale de la Danse de Lyon

La 18e Biennale de la danse a débuté à Lyon sous le signe de la résistance à la cruauté de nos vies violentes. Les créations 2018 de et de nous envoient sur les cimes. Accrochez vos baudriers. Ça souffle et ça tangue.

31 rue Vandenbranden est la re-création pour le de 32 rue Vandenbranden, créé en 2009 par Gabriela Carrizo et Franck Chartier, le duo de créateurs de la Compagnie «  », comme le voyeur, ou plutôt le voyant-vu, ou le voyeur-voyant, enfin bref celui qui voit qui est vu par celui qui voit qu'il est vu… Le décor n'a pas vraiment bougé en changeant d'adresse, du 32 au 31 de la même rue, craint-on une régression ? Soit deux mobile-homes dans la neige qui pourraient symboliser la solitude sur les cimes d'un village perdu dans le froid, là-bas, là où les gens, tant bien que mal, sans savoir vraiment pourquoi, restent. Il y a donc des échanges, des malentendus, des couples qui se font violence ou pas, des êtres qui se retrouvent seuls, mais pas toujours. D'autres qui se laissent aller sans être vus, et pourtant le sont, et cependant voient qu'ils sont vus, et se saluent parfois d'un petit signe. En fait, pourquoi pas ? Et l'une (femme enceinte), Julia Weiss, robe bleue, dans le mobile-home côté jardin se substitue à une autre (femme enceinte également), Aurélie Gaillard, robe bleu-gris. La roue de la vie tourne et le voyeur-spectateur pourrait être perplexe. Cela prend-il ou pas ? Côté cour, deux hommes, dans l'autre mobile-home, leur faisant face dans le froid, le vent, le gel, la neige, Alvaro Dule et Leoannis Pupo-Guillen. En miroir, d'autres histoires, d'autres problèmes, une autre violence. Et « Julia » (tous les danseurs ont gardé leur vrai prénom), propose un café ou un thé, ou pourquoi pas un macchiato et ça déménage, ou pas… Eurudike De Beul accompagne, sur scène, les danseurs, de sa voix tonitruante de mezzo-soprano, très juste. Sur fond d'Oiseau de feu de Stravinsky, de Bach, etc. de très beaux choix musicaux. Impossible de savoir ce que nous ressentons. De glace, nous demeurons.

Entre les lignes de crête avec


Même thème, les cimes, mais traitement à l'opposé ; il ne s'agit plus de suivre les errances des êtres esseulés sur leur cime, comme , mais de passer entre les lignes de crête, au cordeau de la chorégraphie millimétrée et parfaitement orchestrée technologiquement. Il y a de l'apothéose dans cette création à la fois épurée et accumulée, qui dénonce aussi bien le matérialisme à outrance que Perec soulignait déjà dans Les choses, mais aussi le néolibéralisme, l'essoufflement plus que problématique du capitalisme. Bref, la création s'inspire du dernier cri du cœur ou coup de gueule, surintellectualisé à raison (ça change), de Frédéric Lordon, balloté entre Marx et Spinoza, et ça se tient éminemment. Si « la béatitude, comme l'écrivait Spinoza, n'est pas le prix de la vertu, mais la vertu elle-même », alors cette magnifique Ligne de crête donne à voir la robotisation de notre société à travers le corps des danseurs, mis au service de cette perfection ; il en va tout autant d'un contemporain Temps modernes de Chaplin, mais aussi d'une critique en règle de nos open-spaces transparents à outrance au bureau, mais où chacun finit par donner ses coups de téléphone personnels, puis à apporter sa plante verte et enfin sa robe à paillette pour le soir de fête. Et alors tout se mêle, le bureau, le travail, la maison, le quotidien, la « charge mentale », la « fameuse », ah oui, et il faut aller prendre un pack de PQ, de lessive, de ceci, de cela ; et encore aller chercher ceci ou encore cela. Et peu à peu, au rythme effréné et pourtant toujours synchro et toujours plus fort (mais n'est-ce qu'une impression), de la musique technologique de Charlie Aubry. Tout s'est alors mêlé et accumulé, les saisons, les soirs de fête, nos posters de héros préférés de Zidane à Freud en passant par Marx. Six danseurs, trois femmes, trois hommes, Ulises Alvarez, Françoise Leick, Louise Mariotte, Cathy Polo, Ennico Sammarco, Marcelo Sepulveda, dansent jusqu' à ce que la lumière baisse et que s'inverse le rapport scène-jauge. « Mais tout ce qui est beau est difficile autant que rare » (Spinoza, Ethique, Proposition XLII, Scolie).

C'est beau, c'est grand, c'est pensant et c'est à la Biennale de la danse de Lyon, qui s'est ouverte le week-end dernier en pleine Journées du patrimoine, avec son grand « Défilé pour la paix », d'amateurs et de professionnels : de la place des Terreaux à la Place Bellecour, en suivant la belle trajectoire de la rue de la République, et en accueillant à la fin les « Passants » de , après un long défilé de troupes, bien engagées pour la paix, bien là, bien campées, en toute bonhommie du dimanche après-midi.

Crédits photographiques : 31 rue Vandenbranden © Michel Cavalca ; Ligne de crête © Christian Ganet

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