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Lyon, la pesanteur et la grâce de la danse

La 18e Biennale de la danse éclaire, grâce aux nouvelles créations d', de et de ,  une société traversée par les migrations, et la question épineuse du « collectif », et ce que nous en faisons, à titre d'artiste, de citoyen ou d'humain. Apesanteur, franchissement de frontières, états de grâce, sont au rendez-vous.

La création 2018 d' a le mérite de nous garder longtemps en apesanteur. En effet, en explorant les questions multiples de la « gravité », le chorégraphe explore en plusieurs tableaux, très beaux, la pesanteur et la légèreté. Sur des airs plus ou moins connus, du Boléro, très léger, de Ravel, à la musique électronique, plus dense, plus grave, plus noire aussi en termes de code-couleur, de Daft Punk, pour ne citer qu'eux.

En faisant s'attirer, puis se repousser, les masses et les corps, permet à ses danseurs d'aller le plus loin possible, dans ce qui fait de la danse une alchimie parfaite du corps et de l'âme. La gravitation au cœur de son écriture chorégraphique ici, travaille la geste des danseurs, qui donnent à voir et à penser. Ils sont tout à la fois légers et lourds, toujours gracieux, animés de cette force qui fait la singularité de leur chorégraphe, mais aussi qui définit la haute tenue de leurs individualités.

Franchir la nuit

Impossible de passer à côté de ce titre, Franchir la nuit, et la mer en l'occurrence ici, la Méditerranée, symbolisant tous ces exils, ce passage aqueux vers la mort ou la vie. interroge les territoires du déracinement, de l'exil, du départ, et du nouveau départ, ou non. En recouvrant la scène d'eau, et en faisant danser ses danseurs, et ces enfants devenant danseurs, par ce franchissement même, il donne à voir l'invisible de nos errances, et nous rappelle par la beauté et la violence parfois de ces coups dans l'eau, que nous sommes face à une résistance à la pesanteur ici aussi, car il s'agit de survivre au-delà des frontières, et se reconstruire. Migrer, c'est danser vers soi d'une façon si périlleuse que l'on peut en être rejeté par la mer ou par d'autres humains bien campés derrière d'autres frontières.

En fond, les images de l'installation « Frapper sur l'eau » du vidéaste Mehdi Medacci, redoublent l'effet de perspective que donne déjà le nombre impressionnant de danseurs sur scène, dans l'eau. C'est un voyage initiatique qui s'amorce dans l'imaginaire et sur les terres arides de nos frontières. Les chants de Deborah Lennie-Bisson, d'ici ou d'ailleurs, donnent un tempo parfois décalé, tant ce tableau mouvant eût pu se passer de musique, le silence eût été plus juste peut-être, tant l'impression est forte.

Dans le duo Tordre (2014), se demandait déjà, comment on survit à l'enfance (en tournant, et se tordant alors, Annie Hanauer y dansait déjà).

Danser, créer, pour raconter

Et respirer, tant le collectif et la respiration font partie du travail créatif de , qui entraîne ses danseurs dans des cavalcades avec ou sans son et toujours sur le rythme effréné de celui qui danse pour raconter ou qui imagine aussi et qui sent, écoute, voit, touche, pense. Au micro de cabaret, dont s'empare chaque danseur, glissent les mots : proche, eux, possible, primitif, simple. Comme dans du sable noir, brillant comme du charbon, les danseurs se fraient une trace, simple, pure, haletante. Il en va, comme des autres créations de Yuval Pick, de l'articulation entre le soi et le collectif. Il s'agit de danser l'interstice entre l'individu et les autres, et cela est à couper le souffle.

Crédits photographiques : Preljocaj Gravité © Michel-Cavalca ; Ouramdane Franchir la nuit  © Patrick Imbert

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