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Le cas Jekyll de François Paris au Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines

La voix est un vecteur privilégié dans l'œuvre de , compositeur et directeur du Centre national de création musicale du CIRM de Nice. Après Maria Republica, son premier ouvrage scénique loué par la critique en 2016, Le cas Jekyll, moins ambitieux dans ses proportions, convoque le baryton français et les ressources de l'électronique, serrant de près l'idée du « double » Jekyll/Hyde.

La commande vient de l'Arcal et sa directrice artistique Catherine Kollen dans le cadre d'un travail spécifique sur le thème du dédoublement (« les partitions de l'âme ») développé au sein de l'organisme de production. Conçu d'après la nouvelle de Stevenson, Le cas Jekyll est à l'origine un monologue écrit par Christine Montalbetti pour le comédien Denis Podalydès qui le porte à la scène. dit avoir très peu remanié le texte sur lequel il a travaillé. La partition vocale est confiée au baryton évoluant sur un plateau pratiquement nu, même si ce huis-clos se joue à plusieurs. Avec le Quartetto Maurice d'abord, jeune phalange italienne installée à jardin, dont la partie instrumentale suit la voix du baryton comme son ombre, dans les mêmes registres et fluctuations d'énergies.

Fluctuante également est l'image de Jekyll projetée sur l'écran grâce à la captation vidéo live (Yann Chapotel), que pilote parfois le chanteur, et dont certaines techniques sophistiquées (floutage, superposition, effet vitrail de démultiplication) suggèrent efficacement la métamorphose du personnage. Désireux de se faire reconnaître en tant que scientifique, Jekyll a inventé une potion permettant de diviser son être : d'un côté le scientifique estimé qui revient sur le cours de son existence, de l'autre le monstre Hyde capable des pires exactions. Mais Jekyll perd le contrôle, son discours se fissure et laisse filtrer celui de Hyde « dans une sorte de sabotage lyrique de la parole de Jekyll » selon les mots de Christine Montalbetti.

Dans cette perspective du double, imagine, via l'électronique et le logiciel de suivi de partition Antescofo, un quatuor à cordes virtuel se détachant de la source instrumentale et jouant sur l'ambiguïté de l'écoute : une dimension sonore qui nous a partiellement échappé, là où nous étions assis, dans la salle sans doute trop vaste du Théâtre de Saint-Quentin qui accueillait ce monologue intimiste.

La performance du baryton n'en est pas moins étonnante, durant cette heure de spectacle où ne lui est accordé aucun répit. Il y assume le profil d'une ligne vocale exigeante, proche du texte – la compréhension est exemplaire – dont Paris casse plus d'une fois la prosodie pour donner au discours son relief. Avec des effets de surimpression, l'électronique en souligne l'instabilité et la frontière poreuse entre les deux locuteurs. La voix balaie un large registre, celui de falsetto notamment, lorsque Hyde prend le dessus. La vaillance et l'expressivité du chanteur captivent, même si l'uniformité du régime vocal ne va pas sans provoquer une certaine lassitude. D'autant que le quatuor, pour les raisons sus-dites, sonne un peu en retrait, sans l'énergie du son souhaitée pour apprécier l'écriture ciselée et ses couleurs en phase avec la dramaturgie vocale.

Souhaitons que le spectacle, qui sera rejoué à Nice (Festival Manca) ainsi qu'au Théâtre 71 de Malakoff en mars prochain, trouve son écrin idéal en termes de proportions et de confort acoustique, pour que ce théâtre de l'ambiguïté, entre double et doute, nous saisisse pleinement dans son inquiétante étrangeté.

Crédit photographique : © Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines

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