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Avec Bartoli à Luxembourg, retour aux premières amours vivaldiennes

Fusion totale entre et son public de la Philharmonie de Luxembourg. La diva fait ressortir toute la richesse de l'œuvre du Prete rosso.

Lors de la parution, il y a vingt ans, du premier récital consacré par à Vivaldi, les Griselda, Finda ninfa, Giustino, Farnace, L'Olimpiade, Bajazet et autres étaient encore des ouvrages pratiquement inconnus, dont certains n'existaient que dans une version discographique pas toujours recommandable : instruments modernes, voix inadaptées, chanteurs peu rompus au style et à la rhétorique baroques, etc. Depuis, les intégrales ont fait florès, dans des réalisations exemplaires, et les grands chanteurs spécialistes de musique ancienne ont eux aussi ajouté leur pierre à l'édifice vivaldien : Vivica Genaux, Philippe Jaroussky, Simone Kermes, Magdalena Kožená et tant d'autres nous ont tous gratifiés, dans des récitals séparés, de leurs remarquables contributions.

C'est donc en terrain désormais connu, sinon conquis, qu'est apparue sur la scène du Grand Auditorium de la Philharmonie de Luxembourg. Apparition de la plus grande discrétion, introduite par des sifflements d'oiseaux et par le sublime solo de flûte de pour, en guise d'entrée en matière, l'aria « Quell'augellin » de La Silvia. Les morceaux musicaux de la soirée étant tous habilement enchaînés par des improvisations instrumentales, aucun applaudissement ne viendra troubler la concentration des artistes avant la fin de la première partie. Ce que le public aura perdu en termes d'excitation adulatoire vis-à-vis de sa diva fétiche, il l'aura gagné en qualité d'écoute et en sensations fortes. Car il est difficile d'exprimer toute la palette d'émotions que l'on peut ressentir à l'écoute de cette succession d'airs, dont Cecilia Bartoli fait ressortir toute la théâtralité avec aujourd'hui une économie de moyens que nous ne lui avons pas toujours connue de par le passé. Le désormais classique « Gelido in ogni vena » de Farnace, qui était déjà une des pièces maîtresses de la tournée vivaldienne d'il y a deux décennies, et dont Bartoli nous avait alors révélé le dramatisme si poignant, est aujourd'hui murmuré, comme susurré du bout des lèvres. Le « Sol da te » de l'Orlando furioso, toujours accompagné de la flûte extatique de , nous vaut en première partie un autre moment de grâce. Sur le plan technique, les airs les plus brillants sont servis par une vocalise toujours aussi ferme et précise, un trille aussi régulier, une palpitation intérieure qui compense très largement la relative faiblesse de volume de l'organe de la Bartoli, dont on sait qu'il n'a jamais été crédité de qualités particulièrement stentoriennes. L'absence d'applaudissements, même après les airs de virtuosité, plonge le spectateur au centre de lui-même et au cœur de la musique. L'audition, entre les airs, de larges extraits très connus des Quatre saisons confère à ce qui devient un véritable parcours intérieur une dimension supplémentaire.

La deuxième partie du concert procure de nouveaux moments de grâce, avec notamment le « Zeffiretti, che sussurate » d'Ercole su'l Termodonte, au cours duquel la diva italienne dialogue avec les instrumentistes éparpillés dans la salle. Le dernier air de la programmation officielle, le sublime « Se mai senti spirar sur volto » de Catone in Utica autrefois révélé par Cecilia Gasdia dans l'intégrale de Claudio Scimone, nous offre une Cecilia Bartoli en état d'apesanteur. Et c'est dans la plus grande discrétion, sur un extrait de L'Hiver, que s'achève la partie « officielle » du concert. Les nombreux et généreux bis qui prolongent la soirée permettent au public de plonger dans l'état d'excitation habituel pour les concerts de Cecilia Bartoli. On notera, parmi les perles de cette partie de la soirée, l'air « Desterò dall' empia dite » de l'Amadigi de Haendel, au cours duquel Melissa/Cecilia rivalise de virtuosité (et d'humour…) avec le hautbois et la trompette. Se dégagent également un craquant « Voi che sapete », ainsi qu'un inattendu « Non ti scordar di me » de Paolo Tosti, auquel les instruments anciens de l'orchestre confèrent des sonorités inaccoutumées. Inutile de préciser que l'orchestre des Musiciens du Prince, pratiquement créé pour la circonstance par Cecilia Bartoli, connaît son Vivaldi sur le bout des doigts. Composé d'instrumentistes chevronnés, d'une précision quasiment mathématique, cette formation constitue pour le pur joyau que sont la voix et la personnalité de la diva le plus bel écrin.

Crédit photographique : Cecilia Bartoli © Decca / Uli Weber

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