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À l’agité du bocal, le bousin de Bernard Cavanna en DVD

Agitateur, le compositeur l'est sans aucun doute, aimant manier le paradoxe et la dérision, souffler le chaud et le froid, être grave tout en restant léger… Indéfendable pour certains, le choix du pamphlet de Céline À l'agité du bocal, que Cavanna choisit de faire chanter par trois ténors dans sa pièce de même titre, provoque lors de la création une levée de boucliers dont le DVD de Delphine de Blic, Le caillou dans la chaussure, se fait l'écho, de manière polyphonique et virtuose.

La vidéo multi-écrans qu'adopte la réalisatrice traduit d'emblée l'aspect foisonnant, passionné et contestataire de ce que l'on pourrait nommer « l'affaire Cavanna », largement relayée par les réseaux sociaux : messages plus ou moins virulents, échanges de mails voire lettre officielle au sénateur pour lui demander de déprogrammer le spectacle jugé indigne ! Les propos qui s'inscrivent en noir et blanc sur l'écran alternent avec les images orchestrées avec brio : table ronde autour du personnage de Céline, réactions du public après le spectacle, paroles d'hommes de lettre, celles d'Émile Brami notamment, écrivain juif spécialiste de Céline, à qui est emprunté le titre du film. est au centre du débat, tout comme le spectacle À l'agité du bocal, très bien filmé à la Cité de la Musique en 2014 et dont Delphine de Blic donne de larges extraits.

Le CD attenant nous révèle l'œuvre dans son intégralité, un « bousin » nous dit Cavanna, qui n'entend pas célébrer le texte ordurier de Céline mais le faire éructer, hurler par les trois ténors, à l'image, semble-t-il, de ces « fêtes des fous » du Moyen Âge, orgiaques autant qu'inquiétantes, où se mêlaient Peuple et Église pour chanter des rengaines obscènes. Rappelons que Céline, proche de Vichy, accusé par Sartre (Portrait d'un antisémite) d'avoir été payé pour défendre la cause du national-socialisme, écrit son pamphlet en 1947 alors qu'il est en exil, crachant son venin avec une violence qu'il veut à la hauteur de ces fausses accusations (la chose est attestée par les spécialistes).

À l'orgue de barbarie (celui de ) irriguant le spectacle de son flux mécanique et obsessionnel, aux cornemuses entêtantes et aux cuivres tonitruants convoqués par Cavanna dans son orchestre, s'agrègent la percussion cinglante d'un jeu de bouteilles, une sirène et une perceuse : autant d'éléments hétérogènes qu'il confronte jusqu'à l'excès, pour concurrencer les mots obscènes de Céline, « pour en amplifier la démesure, l'outrance […], la verve, le jus » ajoute-t-il. Le « montage » est magistral autant qu'euphorisant, les ténors « dépareillés » et forts en gueule – , et – déclinant à trois voix la prose célinienne.

Maître d'œuvre de cet « objet inouï », dont la légitimité est mise en cause, on l'aura compris, , à la tête de son , salue, quant à lui, l'initiative d'un tel projet, capable aujourd'hui de faire réagir un public souvent trop passif à son goût. Reste à se demander si Cavanna aurait pu écrire une telle musique sur un autre texte.

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