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Le son des Sixties régénéré par Enno Poppe aux Bouffes du Nord

Régulièrement à l'affiche du Festival d'Automne en tant que compositeur et chef d'orchestre, est ce soir interprète, au côté des musiciens de son , dans Rundfunk, sa nouvelle œuvre donnée en création française.

En chemises et tee-shirts orange, les neuf musiciens sont installés en arc de cercle sur le plateau des Bouffes du Nord, devant leur clavier respectif : un synthétiseur relié à l'ordinateur sous le contrôle d'une régie centrale en fond de salle. À l'origine du choix de ce dispositif très atypique il y a le désir du compositeur de retrouver les sonorités des premiers synthétiseurs, ceux des années 60-70, au temps où la radio (Rundfunk en allemand) était encore un media très actif au service de l'expérimentation et de la recherche. « Je n'emploie pas des instruments réels mais des copies générées par l'ordinateur » précise le compositeur dont le but est d'explorer cette lutherie bien au-delà de ce qu'elle a pu produire à l'époque. Via le son quelque peu désuet du Minimoog et de l'orgue Hammond (un arte povera de l'électronique), le compositeur met à l'œuvre ses propres recherches dans l'univers microtonal, la richesse des tempéraments (les différentes façons de diviser l'octave en 12, 24, 48… unités) et une certaine conception du timbre et de ses distorsions étranges.

est au départ de la « chaîne » qui se construit du premier au neuvième synthétiseur au sein de l'exécution de Rundfunk. Le clavier est joué le plus souvent de la seule main droite des interprètes, la gauche étant vouée aux réglages et autres programmations de l'instrument midi. Si l'ancien Minimoog ne pouvait faire qu'un seul son à la fois, la reproduction et la prolifération « en chaîne » de la proposition initiale par chacun des claviers, occasionnant autant de décalages rythmiques et fréquentiels, forment une « tresse » sonore dont la complexité micro-polyphonique engendre une entité timbrale inouïe. La couleur pop des années 60 est bien là, mais auscultée dans ses moindres recoins et magnifiée par le travail de formalisation mené par le compositeur dans son « laboratoire » : « […] et pour travailler, je porte une blouse blanche » confie-t-il non sans humour.

Construite sur le modèle de la forme en arche, Rundfunk a son mouvement lent, central et superbe, visant le continuum sonore et l'écoute plus immersive. Le flux mouvant obtenu par la superposition en strates des neuf sources sonores fait valoir ses couleurs moirées et les nuances différentielles du spectre, entre battements et oscillations de fréquences. Il s'intensifie puis diminue sous l'effet du filtrage et de la décomposition de l'image spectrale finement ouvragée. La transition s'opère par fondu enchaîné vers la troisième section. Le compositeur pousse alors le processus de départ plus avant, envisageant une longue spirale ascendante. Elle est réamorcée à chaque nouvelle proposition, selon des chaînes arborescentes de sons, dans cet espace de tension toujours recherché par Poppe entre le développement organique et le chaos : excès de décibels dans une dernière partie que d'aucuns trouveront trop forte. C'est l'état saturé du son qui est visé au terme du processus, dans les dernières minutes d'une partition qui rejoint sans fard l'univers du rock progressif des Sixties. La fin cut de Rundfunk ne saurait le démentir.

« Mes musiciens ne sont pas des virtuoses du clavier, mais des virtuoses de l'utilisation des sons électroniques » déclare Poppe dans la note d'intention. De fait, la synergie des dix-huit mains sur les claviers est spectaculaire et l' «orchestration » de l'ensemble sans faille. Si « le grognement nostalgique » de l'orgue Hammond est bien à la source du projet compositionnel (« j'aime l'organique » dit le compositeur), la conception sonore de Rundfunk est toute autre, régénérée par la pensée novatrice et visionnaire de cet artiste hors norme : « Je veux écrire une musique qui n'existe pas » nous confirme-t-il.

Crédits photographiques : © Sandra Schuck

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