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Eros et Thanatos pour Roméo et Juliette de Berlioz par Tilson Thomas

et les forces du atteignent à une vérité dramatique inédite dans Roméo et Juliette de Berlioz, en enserrant la flamme des amants dans le destin tragique propre à tout amour interdit. 

Pour François-Xavier Roth, berliozien accompli, Roméo et Juliette fait partie des œuvres orchestrales les plus difficiles du répertoire. Sur le plan technique, elle exige des musiciens qu'ils soient des solistes hors pair – pour la caractérisation des deux héros – mais capables de jouer collectif – pour les scènes évoquant la foule ou les sentiments universels de l'amour. Sur le plan dramatique, elle met en scène des sentiments violents, espoir et désespoir, rage, palpitations et effusions dans un ensemble tour à tour brillantissime, lyrique, d'une virtuosité arachnéenne (la Reine Mab) mais fondamentalement dominé par la mort. Une œuvre tellement en avance sur son temps que Berlioz, amer, déconseillait aux orchestres de jouer le mouvement de Roméo au tombeau des Capulet – dont on imagine aisément qu'il dépassait largement les capacités des musiciens de l'époque.

Au disque, Berlioz a été chanceux avec Roméo et les interprétations de référence ne manquent pas, toutes signées par des orchestre anglo-saxons, le London Symphony Orchestra (Colin Davis, le plus brillant) et le Boston Symphony Orchestra (Charles Munch, le plus chaleureux, Seiji Ozawa le plus équilibré) en tête. Pourtant , qui pourtant n'a pas marqué jusqu'ici la discographie berliozienne, nous semble aller plus loin encore que tous ceux-là en apportant un surcroît de vie et de vérité dramatique.

La caractéristique la plus frappante de cet enregistrement est qu'il restitue pleinement ce qui manque curieusement à la quasi-totalité des autres versions : la marque fatale du destin qui scelle la mort des jeunes amants. Car enfin, comment peut-on imaginer que Roméo et Juliette, séparés par deux familles ennemies, ait pu s'aimer avec insouciance sans être hantés par la peur ? Tilson Thomas assombrit Roméo et Juliette. En lui enlevant une brillance flatteuse mais déplacée dans le contexte de cette histoire, il en fait le précurseur de West Side Story, dont justement il a réalisé un enregistrement de référence (Clef d'Or ResMusica, SFS Media).

Avec une formation sur instruments modernes, Tilson Thomas ne recherche aucune sonorité inédite ou inflexion originale, ce qui pourrait donner l'impression qu'il ne renouvelle pas l'écoute. Son but n'est pas de se différencier, il est d'obtenir la représentation la plus proche de cette « symphonie dramatique », et donc de lui donner la plus grande cohérence possible de bout en bout : folie teintée de mort dans la Grande fête chez les Capulets, Éros qui ne desserre pas l'étreinte de Thanatos pour la Scène d'amour, le Convoi funèbre qui atteint à la pureté du religieux le plus intemporel (et se conclut dans une répétition qui annonce… la musique répétitive avec 120 ans d'avance), le souffle de vie de Juliette au tombeau tel qu'on se croirait au cinéma, la colère saisissante des deux familles devant le Père Laurent et les deux corps sans vie, tout sonne juste. Si la distribution ne compte aucun des talents francophones qui défendent actuellement si bien ce répertoire, la mezzo  dans le Prologue a l'étrangeté requise où la distance froide des strophes ne cache qu'à peine une langueur brûlante. convainc dans son air virtuose de la Reine Mab, et est un Père Laurent impeccable, d'une dignité à la fureur contenue. Le Chorus est exemplaire par sa diction et une théâtralité qui reste toujours éminemment musicale.

À ceux qui s'étonneraient que des musiciens américains puissent si bien réussir Berlioz, on pourra apporter comme explication que Berlioz et sa musique directement inspirée par Shakespeare ne sont pas du Dauphiné, pas même de la France, peut-être de l'Europe, certainement du monde.

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