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Les émouvantes retrouvailles de Cecilia Bartoli et Maxim Vengorov

Au milieu de la « soucoupe volante » comme la nomment les habitants de la cité lémanique de Rolle en raison de l'architecture osée de ce centre culturel inauguré en 2014, trône le Rosey Concert Hall, une salle de concert de 900 places où le bois est roi. Lieu de culture élitiste, il recevait quelques solistes de l'Académie Menuhin qui, sous la direction du violoniste , forme de jeunes artistes au métier de solistes, de musiciens de chambre ou d'orchestre. Un concert de gala qui entre autres festivités s'est assuré la participation de la mezzo-soprano .

Le concert débute par deux octuors pour cordes, le premier de Chostakovitch, le second de Mendelssohn, permettant d'apprécier une homogénéité sonore étonnante pour des groupes de musiciens venants d'horizons culturels très éloignés les uns des autres. La diversité des couleurs et des rythmes de l'Octuor pour cordes op. 20 de Chostakovitch charme d'entrée par le soin apporté à la précision du jeu de chacun. De l'ensemble extrêmement précis émergent toutefois quelques musiciens qui ne peuvent cacher leur exceptionnelle personnalité. On pense particulièrement à l'énergie du premier violon ukrainien Oleg Kaskiv et au sublime son du violoncelliste espagnol Pablo de Naverán. Dans l'Octuor en mi bémol majeur op. 20 de Mendelssohn, c'est le violon de toujours aussi charmeur, chaud et profond qui mène l'ensemble avec une autorité bienveillante. Si le Prélude apparaît parfois trop léché et manquant un peu de vie, le Scherzo s'anime avec un meneur soudain beaucoup plus attentif à l'interprétation qu'il offre joyeuse et colorée.

On s'achemine vers une soirée d'agréable facture, presque sans autre surprise qu'un travail musical bien fait quand apparaît . Dans une robe d'un bleu-roi éclatant, elle s'avance, salue, se concentre quelques instants, se tourne vers pour qu'il donne le départ de cet Infelice op. 94 de Mendelssohn. Dès les premières mesures, on retrouve l'expressivité débordante de . Dans le récitatif d'ouverture qui raconte la douleur de l'abandon, tout le corps de la chanteuse tremble. Elle vit ce qu'elle chante avec une intensité de chaque instant au point de laisser parler le texte plutôt que de soigner à l'excès le legato d'une voix qui, quoique toujours admirablement conduite, a inévitablement perdu de sa fraicheur d'antan. On se console pourtant du bonheur d'entendre une cantatrice aussi authentiquement honnête. Perdu dans ces considérations, on se laisse aller au charme de l'interprétation. Jusqu'au questionnement final où, dans les ultimes notes de son Queste son le speranze et l'ore liete ? Cecilia Bartoli lance un aigu si déchirant que l'on se sent subitement submergé par une irrépressible émotion. Tout à coup, la voix de Bartoli apparaît plus aérienne qu'il est possible d'imaginer et le son du violon de Maxime Vengerov semble plus brillant que jamais. Un instant magique qui projette le spectateur dans ses souvenirs émotionnels les plus intenses. L'espace d'une courte minute, la communion d'une musique, d'un violon, d'une voix jaillissent dans un moment d'indicible grâce artistique. Et quinze ans après avoir enregistré ensemble cet air dans l'album que Bartoli dédiait à Maria Malibran, les deux compères d'alors se retrouvent bouleversés (Mme Bartoli m'avouait après le concert qu'ils avaient tous deux les larmes aux yeux à cet instant-là !) dans le partage de leurs talents.

La seconde partie de la soirée est consacrée à des pages de musique de chambre de Tchaïkovski. L'occasion d'écouter certains solistes de l'Académie. En particulier, on apprécie grandement la musicalité du jeune violoniste chinois Chaofan Wang, l'énergie communicative du violoniste ukrainien Vasyl Zatsikha. Si on remarque chez presque tous ces solistes l'évidence de leurs dons, on doit noter cependant qu'ils peinent souvent à entrer dans leurs interprétations et qu'il faut attendre la seconde moitié de leurs prestations pour que s'affirment leurs réelles capacités artistiques.

En clôture de ce concert, Maxim Vengerov, succombant à la mode actuelle qui veut que des solistes se muent en chef d'orchestre, dirige la Sérénade pour cordes en ut majeur op. 48 de Tchaïkovski. Si l'ensemble est très proprement interprété, si les attaques sont précises, si les contrastes sont présents, l'esprit de l'œuvre est totalement absent de cette interprétation. Alors qu'à tout moment les œuvres orchestrales de Tchaïkovski rappellent les mélodies qu'on entend dans ses opéras (ou le contraire !), ici elles peinent à émerger. Peut-être que la personnalité des excellents musiciens de l' est-elle encore trop soliste pour être coulée dans un ensemble de musique de chambre.

Crédit photographique : Rosey © Kiré Ivanov – Slika

 

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