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Vittorio Forte dans des valses de Chopin uniformes et pudiques

Le pianiste italien nous propose sa version des valses de Chopin : un album agréable mais où point, hélas, une certain systématisme dans l'approche stylistique et interprétative. 

Élève de José Lépore, lui-même élève de Carlo Zecchi, le pianiste italien s'est perfectionné auprès de divers maîtres comme entre autres György Sándor, Paul Badura-Skoda, Fou Ts'ong ou encore Menahem Pressler. Lauréat de plusieurs concours internationaux, il a notamment remporté le prix Chopin lors de la seule édition à ce jour du concours Vlado Perlemuter (2007). Dans la foulée ont suivi ses premiers disques, marqués par son goût pour les répertoires plus rares (un CD entier consacré Clementi-Lyrinx), ou pour les rapprochements originaux mais poétiques (le programme Couperin-Chopin les affinités retrouvées – idem). Il est à coup sûr un des noms importants à suivre de l'actuel renouveau pianistique italien.

Installé en France dans la région de Montpellier depuis plusieurs années, c'est toutefois au label italien Aevea qu'il confie aujourd'hui cet enregistrement des dix-neuf valses de Chopin. Celles-ci couvrent pratiquement vingt ans de parcours artistique, humain et compositionnel. Si le compositeur prit sans doute conscience de la nouveauté du genre lors de son passage à Vienne, il s'accapare le medium pour en faire un moyen d'expressions propres et multiples au-delà de la « facilité » frivole voire du « mauvais goût » qu'il décriait chez les Viennois. Se prenant au jeu au-delà de tout pastiche, il donne au genre toute sa portée quasi aristocratique « de pied en cap » (pour citer Schumann), à la valence expressive multiple, du spleen le plus morbide à la brillance la plus extravertie. propose ici le parcours éditorialement presque chronologique des dix-neuf valses suite ponctué par le court et rarissime cantabile en si bémol majeur B. 84. L'artiste y va parfois de choix assez originaux d'éditions : ainsi il retient les versions alternatives de la paire de l'opus 69, l'édition d'après Fontana pour l'opus 70 – dont la deuxième valse figure aussi plus loin dans une autre version alternative manuscrite. Le sostenuto dédié à Émile Gaillard élève n'est autre que le manuscrit de la dix-neuvième et dernière valse retrouvée posthumément (B. 133, ou KK IVb n° 10).

Vittorio Forte favorise avec originalité l'aspect narratif de l'ensemble du cycle, envisagé comme une sorte de journal intime de toute une vie. Le discours est franc, juste un peu trop droit (le rubato est ô combien parcimonieux…) et fièrement campé, avec une main gauche plutôt discrète et des plans sonores assez tranchés occultant parfois la richesse harmonique du langage chopinien. Captées sans fard de manière directe et très proche de l'instrument, dans une acoustique plutôt chambriste et sèche, ces interprétations se veulent probes et sans éloquence factice. Les premières valses apparaissent plus nobles que brillantes sans extraversion ostentatoire. Manquent peut-être ici et là au fil des valses les plus ludiques (opus 34 n° 3 ou opus 42) ou amusées (la célébrissime valse minute) ce léger rebond rythmique, cette liberté agogique ou cette ivresse digitale qui nous rendent la version de Stephen Hough (Hyperion) si précieuse et irrésistible. Forte se montre bien plus en phase avec les pages en mode mineur, par exemple dans les opus 34 n° 2, opus 70 n° 2 ou dans le couple publié sous l'opus 69 (dont la fameuse valse de l'adieu) par un jeu racé évocateur d'un spleen sans sentimentalisme outré. On peut toutefois regretter une approche uniformisée dans cette relative réserve, et une interprétation parfois interchangeable d'un opus à l'autre. Aussi cette lecture globalisante et peut-être un peu systématique et donc réductrice, est-elle plus séduisante par une audition fractionnée de l'album. Il y a aussi çà et là quelques minimes scories sans gravité (notes répétées un peu périlleuses dans l'opus 18, quelques fausses notes dans les traits fusées de l'opus 34 n° 1) qu'une production plus léchée ou un enregistrement plus étalé dans le temps auraient pu éviter.

Voici sans doute un disque agréable, mais pas inoubliable : on est assez loin, outre de Stephen Hough déjà cité, de la leçon de style indémodable d'un Dinu Lipatti (HMV-Warner), du chic d'un Nikita Magaloff (Philips-Decca), de la totale recréation crépusculaire d'un Claudio Arrau (Philips-Decca), ou de l'extraversion inventive et spontanée d'un Jean-Marc Luisada (dix-sept valses chez DG, quatorze valses chez RCA) ou d'une Éliane Reyes (Azur Classical), voire du classicisme rayonnant et achevé d'un Alexandre Tharaud au meilleur de sa forme (Harmonia Mundi). Bref, la discographie reste inchangée.

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