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Valentina Lisitsa en récital au Théâtre des Champs-Élysées

Sur la lancée de son intégrale Tchaïkovski consacrée aux œuvres pour piano solo, la pianiste était de retour sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées, dans un programme aussi original qu'exigeant.

La Marche Slave constitue la première pépite de ce concert hors des sentiers battus. Cette pièce dévoile un lyrisme dont l'inspiration puise dans le folklore serbe et met en lumière une écriture riche, notamment du point du vue de sa polyphonie et du traitement des timbres. L'instrument déploie en effet un éventail dynamique et harmonique qui n'a rien à envier à l'orchestre. Le jeu de porte une attention toute particulière aux textures ainsi qu'à la clarté des voix. Sa main gauche fait des merveilles dans la relance et la précision des attaques. On admire les parties quasi orchestrales qui exploitent avec couleur l'aspect solennel et brillant, soulignent son caractère festif dès qu'un motif de danse populaire se fait entendre. Le public faisant preuve d'un silence religieux, cette grande qualité d'écoute crée d'emblée une atmosphère recueillie mais aussi intimiste qui sera constante tout au long de la soirée.

À la place des 18 pièces op. 72, a choisi le cycle des Saisons, rarement interprété en entier. L'œuvre gagne pourtant à être entendue dans son intégralité. L'unité de cette version poétique est réelle, ses contrastes subtils. Avec évidence, sa portée suggestive touche nos sens. Chaque miniature est éclairée par une expression spontanée dont les nuances pénètrent au cœur de l'émotion. Parfois, le phrasé retient légèrement le tempo. C'est le cas d'Avril avec son pianisme à fleur de clavier, tout en délicatesse. Les pièces animées aux accents de danse sont chatoyantes mais ce sont les épisodes plus intériorisés qui nous touchent le plus. Raffinement et poésie sont de mise dans un sublime Juin dont une rare sonorité cristalline en toute fin de morceau. Son cantabile semble légèrement étirer le phrasé comme pour mieux habiter le temps et le prolonger. De même, Octobre nous bouleverse par sa beauté pénétrante. Cette fenêtre ouverte sur un vécu intime nous envahit par sa mélancolie douloureuse.

Après l'entracte, la pianiste a choisi la suite du Casse-Noisette dans sa version originale pour piano au lieu de l'adaptation souvent préférée de Mikhail Pletnev, comme pour être au plus près de l'essence même du ballet. L'élégance de son jeu va de pair avec l'esthétique raffinée de cette musique. Les personnages prennent vie avec corps et passion. Non sans une touche d'humour, une expression empreinte de facétie enfantine, la pianiste entraine l'auditeur dans la magie de ce conte de Noël. Chaque tableau se succède avec une dimension picturale. La féerie de ce chef-d'œuvre brille à travers ses mélodies célèbres dont certaines danses irrésistibles comme la Valse des Fleurs ou le Pas des Deux. Le frémissant Moderato Allegro laisse entendre une touche plus dramatique loin des habituelles versions sucrées. Vibrant de générosité, le Final soulève quant à lui l'ovation du public. Valentina Lisitsa lui offre deux bis. Tout d'abord, «Ständchen» de Liszt-Schubert, dont la beauté en apesanteur des voix révèle une expression transcendée, baignée d'amour et de lumière. Puis, la Rhapsodie Hongroise n° 2 en ut dièse mineur de Liszt dans laquelle l'artiste fait corps avec son instrument. Le discours, d'une rare profondeur expressive, est conduit avec une sidérante maestria. L'interprétation est ébouriffante car même à ces tempos inouïs, la prise de risque est parfaitement maîtrisée.

Crédit photographique © Gilbert François

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