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Renée Fleming, entre souvenirs et avenir à l’Opéra de Bordeaux

offre à Bordeaux un récital atypique, une sorte d'instantané de sa carrière aujourd'hui, mêlant opéra, lieder, shows de Broadway et musique contemporaine. Un brassage qui fait remonter beaucoup de souvenirs et entrevoir l'avenir d'une artiste protéiforme, curieuse et libre.

Cela faisait plus de 20 ans que n'avait pas collaboré avec l'Opéra de Bordeaux avec lequel elle avait gravé au disque une superbe Thaïs de Massenet. Marc Minkowski a décidé de rompre cette absence et bien lui en a pris tant semble heureuse d'offrir ce programme dans une salle à l'acoustique flatteuse.

Entre classicisme et formes plus populaires, le programme offre une sorte de condensé des esthétiques musicales, des Lieder allemands du XIXe siècle aux comédies musicales de Broadway qui semblent être aujourd'hui sa nouvelle orientation. Un programme qui rappelle en outre les nombreux emprunts que le cinéma peut faire à l'art lyrique puisque certains des morceaux défendus ce soir ont été utilisés pour le grand écran dans les films tels que Three Billboards outside Ebbing Missouri ou bien encore Bel Canto où la chanteuse sert de doublure vocale à Julianne Moore.

Pour ce récital si singulier, Renée Fleming a choisi un accompagnateur qui la connait bien. C'est peu dire qu' s'adapte, avec une confondante évidence, à la grande variété des répertoires et des sensibilités proposés. Son touché délicat et les couleurs qu'il prodigue appuient merveilleusement le travail pédagogique que la soprano effectue tout au long de la soirée, n'hésitant pas à prendre le micro pour expliquer ses choix et dire quelques mots des œuvres interprétées.

Tout commence donc avec Brahms. Les premiers Lieder la cueillent à froid. La ligne de chant est un peu malmenée et la projection semble inégale selon les registres. Le temps passe, même sur cette voix fabuleusement moirée et l'on craint que la soprano ne soit pas dans un bon jour. Pourtant, les choses s'améliorent très rapidement et elle parvient à reprendre le dessus et à instaurer une belle intimité avec le public avec notamment la magnifique berceuse Wiegenlied. Échauffée, la voix peut ensuite affronter les Letters from Georgia composées pour elle par à partir de lettres écrites par la peintre américaine Georgia O'Keeffe. Très sollicitante en terme de projection, l'écriture de est cependant faite de longues phrases qui conviennent bien à la voix de la soprano, toujours plus à l'aise dans les langueurs que dans l'expressionnisme. L'aria de vient d'ailleurs le confirmer avant que le très populaire Tis the last rose of summer de ne fasse fondre les dernières réticences. La première partie du récital se clôt sur une miraculeuse chanson à la lune extraite de la fameuse Rusalka de Dvořák. Miraculeuse car on y retrouve la rondeur, le souffle infini et les couleurs de cette voix unique qui fit redécouvrir ce chef-d'œuvre il y a près de vingt ans dans la sublime production de Robert Carsen à l'affiche encore aujourd'hui sur la scène de l'Opéra Bastille. Un grand moment d'émotion qui porte en lui beaucoup de souvenirs.

La deuxième partie s'ouvre sur le répertoire italien. Si la douceur d'Ombra di nube de Refice ne lui pose aucune difficulté, la théâtralité du vérisme italien semble plus éloigné de sa zone de confort. Qu'importe, elle assume le caractère comique de la Bohème de Leoncavallo et délivre un « Signore, ascolta » qui enthousiasme le public malgré un aigu final un peu instable. Puis, la soprano prend le micro pour interpréter deux extraits de comédies musicales, Love and love alone de The Visit et Unusual way de Nine, qui sont l'occasion d'exposer de très beaux graves et un medium encore très riche et surtout de constater qu'elle ne manque pas de swing ! Rappelons à ce titre qu'avant d'être chanteuse lyrique, Renée Fleming chantait dans des jazz band à New York et qu'elle s'intéressait déjà beaucoup à la musique populaire. Enfin, avec , elle revient à un répertoire plus classique qui lui permet de déployer un beau legato et toute la séduction de son timbre de velours.

Pour parachever ce kaléidoscope, Renée Fleming offre trois bis. Le fameux Summertime de Gershwin est toujours aussi beau et le Oh mio babino caro, même si maintes fois rebattu, ravit encore le public. Mais c'est sur et son Morgen que la soprano décide d'achever la soirée, rappelant les affinités qu'elle entretient avec le compositeur allemand. Tout en intériorité, la charge émotionnelle qu'elle offre laisse le public silencieux avant une standing ovation plus que méritée. Laissons alors le dernier mot à un groupe de spectateurs allemands qui sortait ébahi : « Es ist ein Traum« .

Crédits photographiques : © Andrew Eccles / Decca

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