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À Paris, l’alpha et l’omega mahlériens par Gergiev et les Münchner Philharmoniker

Dans un surprenant et formidable raccourci du corpus symphonique mahlérien, Gergiev à la tête des Münchner Philharmoniker livre une interprétation exemplaire de la Symphonie n° 4 et du Chant de la Terre.

Si le fougueux chef russe est un mahlérien reconnu de longue date, auteur d'une intégrale des symphonies avec le LSO, il faut également rappeler que les créations de la Symphonie n° 4 et du Chant de la Terre eurent lieu toutes deux à Munich, le 25 novembre 1901 sous la direction du compositeur pour la première, et le 20 novembre 1911 par Bruno Walter pour la seconde.

Contrairement à d'autres compositeurs le corpus symphonique de constitue un tout, organisé autour de la recherche d'un ordre nouveau à partir du chaos initial. Une quête originale qui se présente comme un gigantesque patchwork fait d'éléments juxtaposés dont il n'aura de cesse d'établir le lien en les intégrant dans ses compositions. A partir de deux genres musicaux, aussi diamétralement opposés que le lied et la symphonie, il parviendra à faire une fusion novatrice, déjà présente dans ses quatre premières symphonies, amalgame inédit qui trouvera son plein aboutissement dans le Chant de la Terre, véritable symphonie de lieder. Le rapprochement de la Symphonie n° 4 et du Chant de la Terre trouve donc tout son sens dans cette perspective unificatrice, offrant un véritable raccourci du corpus symphonique mahlérien.

La Symphonie n° 4 se démarque des symphonies précédentes par la réduction de l'effectif orchestral (disparition des trombones), par l'absence de chœur, et par l'absence de programme explicite, mais elle s'inscrit toutefois dans la continuité par la présence du lied Das himmlische Leben (La Vie céleste) tiré du « Wunderhorn, autour duquel elle se construit.

Elle comprend quatre mouvements. Le premier, Allegro, réfléchi, à l'aise, innocent, mais chargé d'ambivalence, est, ce soir, parfaitement conduit par le chef qui en accentue à l'envi la figure de Janus, dans une insouciance teintée d'inquiétude. Le deuxième, lourd de menace, comme si la mort conduisait le bal, évoque une danse satanique conduite par le violon désaccordé du truculent . Le troisième, Adagio, à la fois divinement gai et infiniment triste, poignant de bout en bout par son mélange d'élégie, d'angoisse et de lyrisme confondus, fait valoir l'ampleur sonore des cordes graves et la complainte des vents des Münchner Philharmoniker (hautbois de Marie-Louise Modersohn et cor de Matias Piñeira) sur un tempo assez lent brutalement interrompu par un tutti marquant le climax et l'ouverture des portes du Paradis. Enfin, la Vie céleste voit l'entrée en fond de scène de qui pousse l'émoi à son comble par son chant bouleversant, son timbre cristallin et par la souplesse de sa  ligne, malgré une projection qui trouve ses limites dans la grande nef de la Philharmonie, concluant dans la sérénité retrouvée une interprétation très convaincante dans laquelle sait à la fois entretenir la tension et l'émotion, sans jamais sacrifier la dynamique, ni la clarté pour donner jour à tous les détails d'une orchestration haute en couleur.

Avec le Chant de la Terre (comme avec la Symphonie n° 9) nous abordons les œuvres posthumes du compositeur, hanté par la malédiction de la Neuvième (Beethoven, Schubert, Bruckner) et explorant le Moi profond de Mahler. Composé dans une période de créativité difficile, (après la crise de 1907 qui verra son départ de l'Opéra de Vienne, la mort de sa fille aînée « Putzi », la découverte de sa cardiopathie) Mahler a conscience de la nécessité de poursuivre son œuvre malgré la solitude et la menace de mort. Le travail semble son seul dérivatif, conçu comme un réconfort. Dans le Chant de la Terre, il retrouve le chemin de lui-même en reprenant son inlassable quête de construction, réalisant l'apogée de l'esprit romantique en reliant subjectivité de l'expression et raffinement de la technique. Construit à partir de sept poèmes chinois du VIIe au IXe siècle de notre ère, découverts dans le recueil la Flûte Chinoise de Hans Bethge, Mahler y évoque la condition humaine, l'ivresse et le désespoir, la solitude et la nature, la jeunesse, la beauté, le printemps et enfin l'adieu à l'ami se terminant dans un murmure sur le mot Ewig (éternellement) répété sept fois comme un rite sacré qui laisse entrevoir le passage de l'intime à l'universel.

, sans fougue excessive, déploie dans cette interprétation véritablement habitée tout son savoir-faire de chef lyrique, veillant à maintenir un parfait équilibre entre les chanteurs et un orchestre qui fait montre, une fois encore, de l'excellence de ses pupitres (cuivres, petite harmonie, harpes et violoncelles). Simon O'Neill tient crânement son rôle par sa puissance et la bravoure de son chant de ténor héroïque, malgré un timbre un peu nasal, tandis que impressionne par sa projection, par son timbre rond, par l'étendue de sa tessiture, par les couleurs de son instrument et par l'impact émotionnel dégagé par son déchirant Abschied.

Crédit photographique : © Andrea Huber

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