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Un étouffant Dalibor à Francfort

Où peut-on entendre Dalibor ? À Francfort. Pour le voir il faudra attendre, la mise en scène réductrice de donnant envie d'appréhender plus avant la densité émotionnelle de ce bel opéra aux multiples visages.

La création de Dalibor, lors de l'ouverture du Théâtre national de Prague le 16 mai 1868, après deux années d'enfantement, était très attendue par un public qui s'attendait à une seconde Fiancée vendue. Érigé par Smetana en emblème de la résistance tchèque à l'oppression autrichienne d'alors, Dalibor ne fut pas le triomphe espéré. L'on accusa le compositeur de wagnérisme, engouement honni par les nationalistes tchèques. Et même après son succès posthume dans son pays, ainsi qu'en témoignent pléthore de versions discographiques, Dalibor reste aujourd'hui perle rare ailleurs. Pourtant, que d'atouts contemporains dans le livret que Josef Wenzig rédigea à partir de la légende allemande traduite en tchèque par Erwin Špindler.

On y célèbre le chevalier Dalibor, devenu héros national après s'être opposé au pouvoir politique de son temps. Emprisonné, il est secouru par une femme amoureuse costumée en homme (comme dans Fidelio). a bien senti dans ce récit moyenâgeux les résonances actuelles à même de stimuler son imagination de metteuse en scène. En ces temps de grande contestation sociale sous haute tension médiatique (elle évoque dans sa note d'intention, les manifestations autour du G20 de 2017 à Hambourg, du mouvement d'extrême droite AfD), la metteuse en scène allemande opère une judicieuse translation temporelle en plaçant le procès de son chevalier moderne (après Fidelio, voici Lohengrin) dans une émission de TV, avec sur un plateau tournant un animateur soucieux d'audimat faisant voter un public sous contrôle. Bonne idée. Bon début avec l'intrigant surgissement du chœur de l'ombre d'images d'archives. La suite, frisant l'invraisemblable, convainc moins : la geôle de Dalibor (cerné de caméras) se trouve dans les locaux de la chaîne, prison où l'on étrangle à l'occasion. Malgré leur toute-puissance, les chaînes TV ne sont pas encore aujourd'hui autorisées à emprisonner ou à tuer quiconque, du moins physiquement. Cela dit, certains médias télévisuels ayant tant fait pour se faire détester, l'on souscrirait volontiers au pessimisme de ce qui n'est peut-être qu'une politique-fiction, si elle n'étouffait la généreuse musique de Smetana, plombée jusqu'à l'asphyxie par un traitement aussi unilatéral.

Car l'argument de Dalibor est beaucoup plus ample que cette seule hagiographie d'un opposant politique. Si Fidelio (titré à l'origine Léonore ou l'amour conjugal) faisait l'impasse des raisons qui avaient conduit à l'emprisonnement de Florestan, Dalibor est quant à lui très explicite : Dalibor a tué le Burgrave de Ploškovice pour venger la mort de son très cher ami Zdeněk. Son aria de l'Acte I dénonce la dictature du Burgrave et confesse son amour pour Zdeněk. Au II, il prend l'apparition de Milada pour le fantôme de Zdeněk. Au III, il expire en évoquant dans dans un même souffle Milada venue le sauver en vain et Zdeněk à jamais perdu. , aveuglée par l'engagement politique de sa lecture, n'a pas eu envie de mettre en lumière l'engagement amoureux de son héros, étincelle de sa marche vers la mort. Ainsi, les motivations de ses personnages, réduits à des archétypes, restent obscures, faisant même accuser de quelques longueurs une œuvre assez brève.

Autre différence d'avec Fidelio, Dalibor finit mal. Là encore, on comprend difficilement que, lors du retour final de l'imposant décor de type carcéral qui fait du studio TV une sorte de bunker, Florentine Klepper n'enfonce pas le clou de son désabusement en faisant fermer totalement les portes des murailles, celles-ci restant partiellement ouvertes sur d'esthétiques volutes de fumigène. Un claquement bruyant des portes métalliques se rejoignant pour sceller un pessimisme orwellien sans appel aurait davantage marqué les esprits.

Dans ce contexte étouffant, l'on apprécie le cadeau que constitue la présence de l'idoine , chef autrichien d'origine hongroise, bien que, pour cette deuxième représentation, après la magnifique introduction avec chœur qui fait s'élever le leitmotiv de l'œuvre (un thème ascendant d'une beauté de type Moldau), l'orchestre ahane encore çà et là dans le fil d'un discours perfectible.

La distribution, s'exprimant en allemand, est excellente, que ce soit , Dalibor effectivement wagnérien, , Milada passant de l'ordinaire de la desperate housewife à la flamboyance de la passionnaria enflammée, , Jitka, l'orpheline recueillie par Dalibor, aux aigus fiévreux, ou activiste percutant. Du côté des méchants, on hait de concert l'animateur peroxydé (Vladislav) de comme le Budivoj de en odieux rouage du pouvoir. À la frontière des deux camps, l'émouvant Beneš de , humain comme le Rocco beethovénien, recueille de beaux lauriers aux saluts. Le chœur s'empare du vibrant lyrisme que le compositeur lui a réservé.

En trois jours, enchaîner aux formidables réussites des célébrités que sont La Force du destin et Carmen cette résurrection de Dalibor (auquel on reconnaîtra tout de même le mérite de nous épargner le folklore de productions moyenâgeuses) justifie tout à fait le titre d'Opernhaus des Jahres que l'Opéra de Francfort vient de se voir décerner (pour la quatrième fois !) par le magazine Opernwelt.

Crédits photographiques © Monika Rittershaus

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