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33 intime par Simon Ghraichy

A 33 ans, fait partie de cette génération d'artistes qui dépoussière les codes du concert « classique » et passe d'un répertoire à un autre avec une totale décomplexion. 33 est en résonance avec l'univers intérieur de l'artiste, ses angoisses, ses aspirations profondes et sa fascination pour le temps qui s'écoule. 

Tout au long de ce journal intime musical, le pianiste revêt différents masques. Son jeu offre une variété dans la forme et le fond et apporte un éclairage audacieux qui parfois nous prend à contrepied (Etudes de ; Huge et l'incorporation d'une musique assistée par ordinateur). Les thèmes choisis sont mis en miroir avec leurs correspondances et leurs reflets mais aussi leurs contrastes.

On apprend que l'Humoreske de Schumann, pièce phare de cet enregistrement, lui a permis de se défaire de ses tourments. La version que nous entendons s'inscrit avec naturel dans ce florilège de courtes pièces. On retient ici une candeur expressive mais aussi une douceur intimiste qui la rapprocherait des Kinderszenen. Dans les plages rapides, le phrasé libère une franche énergie.Toutefois, dans les épisodes plus introspectifs, le recours quasi systématique au même toucher (avec l'utilisation de la sourdine) limite la palette de couleurs et des sonorités. Avec les rarissimes Études en forme de variations sur un thème de Beethoven, d'après le deuxième mouvement de la Symphonie n° 7, l'interprétation nous plonge parfois dans un climat onirique. L'approche est moins convaincante dans les volets intériorisés et leur tempi étirés – toujours le même toucher – d'autant qu'un écho vient parfois se rajouter à la prise de son.

Ce choix esthétique est également présent dans la transcription de Recuerdos de la Alhambra de dans laquelle le piano et la chaleur de ses cordes sont utilisés pour s'approcher le plus possible du son d'une guitare. Les pièces de et évoquent l'ancienne phobie de pour l'eau lié à un traumatisme issu de son enfance. Directement inspirée par ce thème, ‎la « Chanson de la folle au bord de la mer » répand son mystérieux parfum, ses harmonies entre ténèbres et lumière qui captent nos sens. Quant à l'adaptation sucrée d'Alfonsina et la mer de Ramirez, elle possède les arguments pour faire chavirer les foules même si on peut regretter que ce pianisme penche du côté de la surenchère sentimentale. Au départ, il s'agit d'une chanson argentine composée par Ramirez, un hommage à la poétesse argentine Alfonsina Storni qui mit fin à ses jours en s'offrant doucement à la mer.
On retrouve enfin ce douloureux souvenir dans Robert on the Bridge, fascinante pièce de (également présent au piano) aussi énigmatique que pénétrante. Les œuvres minimalistes creusent, quant à elle, la dimension dramatique et mélancolique sous-jacente dont ce Philipp Glass, poignant avec évidence.
À l'image d'une séquence cinématographique, on se retrouve en quelques mesures au cœur d'une scène aussi intemporelle que réaliste, aussi proche que lointaine. Time Lapse de dont la gravité tout en crescendo nous touche, évoquerait sa fascination pour les sabliers.

Ce disque truffé de découvertes est en phase avec son temps. La notion de style s'efface pour laisser la place à un voyage musical qui a les atouts pour toucher tous les publics.

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