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Brahms à Besançon : quatre symphonies, quatre mains

Folle journée à Besançon : les pianistes Arthur Schoonderwoerd et font entendre dans l'intimité d'un hôtel particulier les quatre symphonies de Brahms dans une version à quatre mains établie par le compositeur lui-même. Rare et convaincant.

Difficile de résister à l'invitation du pianofortiste Arthur Schoonderwoerd (Directeur musical de l'Ensemble Cristofori, fondateur du Festival de Musiques anciennes de Besançon-Montfaucon), d'entendre dans l'ordre chronologique et dans une quasi-foulée l'inépuisable corpus : deux symphonies le matin, deux l'après-midi, agrémentées de quelques Danses hongroises. À l'interrogation de savoir comment peuvent sonner sans l'orchestre ces quatre chefs-d'œuvre du genre, répond l'exécution puissante et musicale de deux pianistes en osmose dont l'un fut naguère élève de l'autre, tous deux fusionnant aujourd'hui leur excellence, échangeant dans la plus grande convivialité le haut et le bas du clavier à chaque symphonie.

Le portique inaugural de la Première saisit par la justesse du tempo autant que par la beauté du son d'emblée obtenue sur le piano (un voluptueux Erard de 1896) du maître de maison. On croyait perdre (les entrechocs de timbres, les timbales…), on gagne la lisibilité : de l'architecture, de l'invraisemblable complexité des superpositions rythmiques. Affleurent à l'oreille des détails moins décelables dans leur version orchestrale, telle l'autonome et schubertienne beauté mélodique de la partie basse du clavier dans le Un poco Allegretto e grazioso. Schoonderwoerd et Granjon disent les clairs – obscurs qui ouvrent la Symphonie n° 2 comme l'invraisemblable maelström qui la clôt. Si la plus difficile Troisième – quelle énigmatique conclusion après son enchanteur Poco allegretto – séduit tout autant, rien ne manquera non plus à la Quatrième : ni le lyrisme prégnant de son Allegro non troppo, ni le dionysiaque de son impérieux Allegro giocoso enchaîné à l'autorité intense de l'Allegro energico e passionato, la spectaculaire passacaille constituant bien sûr le sommet conclusif idéal d'une folle aventure qu'on s'étonne de ne pas voir plus souvent tentée.

Aimez-vous Brahms ? ironise la plaquette en hommage nostalgique aux aléas d'une musique longtemps difficile d'exécution et d'accès. Nos deux pianistes, brahmsiens jusqu'au bout des notes, répondent par l'affirmative, à l'unisson de la soixantaine d'auditeurs en arrêt devant la proximité intime du dispositif : ce piano d'une autre époque sis dans la grande antichambre contemporaine d'un mélomane bisontin.

Chaque concert, donné deux fois, s'inscrit dans le cadre de la 7e édition de Trésors de la musique de chambre, mini-festival d'hiver qui, sur trois mois, outre les quatre symphonies, proposait aussi un florilège de la musique de chambre du compositeur. Rendue possible par la seule passion d'une poignée d'hommes et de femmes, cette manifestation remarquable, recréant l'intimité d'un temps où les compositeurs faisaient entendre (et parfois testaient avant orchestration) leurs chefs-d'œuvre symphoniques dans les salons, voit aujourd'hui, après son 55e concert, son existence fragilisée par une injonction des Services Techniques de la Ville de Besançon – consécutive à une lettre de délation – de mettre en conformité le lieu qui l'accueille. Que le bon sens ne l'emportât point sur le sécuritaire à tout prix serait désolant en regard de la qualité de ces rencontres rêvées par leur hôte « pleines d'humanité et de partage, ouvertes à tous, tellement utiles dans notre société actuelle, si tendue et anxieuse. »

Crédits photographiques : © Alexandre Delafin/J.Dubois

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