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Cent ans après, le Ballet de Stuttgart rend hommage à l’année 1919

Dans les trois créations de la soirée, c'est celle de qui parvient le mieux à unir hier et aujourd'hui.

Weimar, 1919 : le théâtre national accueille les réunions du parlement qui délibère sur la première constitution démocratique allemande ; non loin de là, est fondée une nouvelle école unissant beaux-arts et arts appliqués, le Bauhaus, dont les théories et la pratique ont exercé et exercent encore une influence déterminante dans toute l'Europe et au-delà. Pour célébrer ce double événement, le Ballet de Stuttgart a invité trois chorégraphes à s'en inspirer pour une printanière soirée de créations, dans la belle salle du Théâtre de Stuttgart à quelques pas de l'Opéra. Aussi extérieurs à la danse que puissent paraître ces événements, il en sort une soirée qui vaut mieux que la simple somme de ses composantes, avec une réelle cohérence que viennent renforcer les choix musicaux des chorégraphes. Une seule des trois pièces utilise une pièce de , mais son influence est partout, ce qui entraîne à vrai dire aussi un peu de monotonie. N'y a-t-il pas de musiques plus stimulantes et plus riches pour la danse, que ce soit chez les contemporains du Bauhaus qu'aujourd'hui ?

On ne peut s'empêcher de lire les deux premières pièces comme un diptyque autour du Bauhaus et des formes radicalement épurées et résolument fonctionnelles auxquels on l'associe. Chez , la référence est explicite par la citation d'une lampe créée à Weimar en 1924 par le designer Wilhelm Wagenfeld, en rupture radicale avec le goût ornemental des décennies précédentes. Si le fonctionnalisme du Bauhaus a eu tant d'influence, c'est qu'il ne perdait jamais de vue la beauté ; pour faire vivre cette tension entre fonction et forme, Kozielska utilise résolument les instruments de la virtuosité de la danse. Les danseuses sont sur pointes, les angles sont nets, les lignes sont droites, la lisibilité immédiate : la pureté des formes du Bauhaus va de pair avec une vision du corps comme mécanique fonctionnelle. Kozielska ne se limite cependant pas à cette abstraction : on peut aussi y voir des échos à l'importance des fêtes comme moments d'affirmation esthétique, à la façon du célèbre Ballet triadique mis en images par Oskar Schlemmer. Les jeunes danseurs de Stuttgart qui l'interprètent, avec Diana Ionescu en figure de proue, sont à la hauteur d'une pièce qui met les individualités en avant, sans toujours convaincre dans les passages plus collectifs.

La pièce d' qui suit offre un tout autre regard sur les principes esthétiques du Bauhaus, avec une danse beaucoup moins ancrée dans la tradition classique, dans une verticalité beaucoup plus affirmée. Le saut, la marche, la course : la danse est ici décomposée en ses mouvements constitutifs, et les sept danseurs sont vêtus d'un même costume, haut blanc marqué au dos d'une ligne verticale rouge et pantalon noir, à l'opposé de l'exaltation romantique de l'individu singulier. Cette fois, la distribution unit de jeunes solistes à quelques-unes des étoiles de la troupe.

C'est seulement à la fin du programme que l'autre thème centenaire est abordé : REVOLT de s'attache à la genèse des ruptures politiques, non pas tant comme un combat contre des forces d'oppression que comme la construction d'une force nouvelle, dans des lumières d'un bleu vif qui donnent à l'ensemble une unité forte. Sa pièce est résolument une pièce d'ensemble et s'attache au collectif plus qu'à des processus de distinction : l'écriture chorégraphique est souvent virtuose, particulièrement quand la masse n'est encore qu'une accumulation inorganique d'individus, avant qu'une unité d'action se constitue. La pièce tire sa force de sa cohérence, mais c'est aussi sa faiblesse : elle est la plus longue du programme (un peu plus d'une demi-heure), mais elle ne justifie pas entièrement cette durée. La cohérence dans la diversité des trois pièces de la soirée justifient en tout cas une expérience qui, à défaut d'être aussi radicale que l'année 1919, propose des éclairages stimulants sur la danse d'aujourd'hui.

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