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Le Lac des cygnes signé Radhouane El Meddeb à Chaillot

Après sa création pour le Ballet de l'Opéra du Rhin, Le Lac des cygnes du chorégraphe tunisien fait l'objet d'une reprise à Chaillot. El Meddeb donne une vision contemporaine de l'œuvre tout en conservant une base classique.

Chef d'œuvre intemporel, Le Lac des cygnes n'en finit pas de fasciner les chorégraphes. , chorégraphe tunisien, d'abord passé par le théâtre, n'échappe pas à cette fascination. C'est à la suite d'une commande de Bruno Bouché pour les danseurs du Ballet du Rhin que lui est donnée l'occasion de s'emparer de cette œuvre pour en élaborer une nouvelle version, créée en janvier 2019 à Strasbourg.

El Meddeb crée une œuvre hybride. Il ne s'agit pas véritablement d'une nouvelle composition mais plutôt d'une déconstruction et d'une réinterprétation de l'œuvre, sur une bande-son enregistrée constituée d'extraits de la célébrissime partition de Tchaïkovski. El Meddeb ne se départit pas du vocabulaire classique. Au contraire, il conserve des passages entiers de la version de Noureev ou de celle d'origine de Petipa. Toutefois, ces passages se succèdent, comme des tableaux entre-coupés de silence, sans suivre la chronologie de la narration. Le fil narratif est rompu également par le caractère interchangeable des personnages. Si les personnages de Siegfried et d'Odette sont bien identifiés – en la personne des danseurs Riku Ota et Céline Nunigé -, les variations solos sont souvent dansées en groupes, comme si les personnages principaux étaient démultipliés, et les variations féminines exécutées par des hommes et vice-versa. La frontière entre les genres est interrogée, les cygnes pouvant être interprétés aussi bien par des hommes que par des femmes. Le regard contemporain sur l'œuvre, qui se caractérise par le jeu sur l'inversion des rôles masculins et féminins, la confusion voulue entre solistes et corps de ballet, la décomposition de la structure de l'œuvre et de la partition musicale, les échanges de regards entre les danseurs et le public, dans une veine théâtrale, sont autant de pistes intéressantes creusées par le chorégraphe.

La reprise de passages emblématiques de la chorégraphie d'origine comme la variation des « quatre petits cygnes » et la bande-son qui résonne familièrement aux oreilles des spectateurs sont autant de clins d'œil au grand ballet classique. La scénographie d'Annie Tolleter rend un hommage réussi à l'univers du ballet, avec les tutus blancs des cygnes accrochés sur des cintres, et l'immense tutu blanc au fond de la scène, qui rappelle le cygne blanc au destin tragique.


On regrettera toutefois que, bien souvent, la précision technique ne soit pas au rendez-vous, conférant une dimension parodique à certains passages, sans que ce ne soit visiblement l'intention du chorégraphe. La compagnie compte pourtant de nombreux talents et la prestation de Riku Ota en Prince Siegfried est admirable. Sa danse, puissante et aérienne, la beauté de ses bras et la subtilité de sa technique, en font un danseur de premier plan, qui porte cette production. Le dernier tableau, où l'on revient au mythe avec la disparition du cygne blanc et la mort de Siegfried, expérimente un vocabulaire beaucoup plus contemporain. Ce passage se révèle le plus intense émotionnellement. Riku Ota déploie une véritable intensité dramatique et sa partenaire se révèle plus à l'aise dans ce registre.

Il est toutefois bien dommage que le chorégraphe ne se soit pas davantage abstrait du vocabulaire classique pour dresser sa propre vision de l'œuvre, dont le fil conducteur n'est pas clair. Ainsi, la suppression du rôle d'Odile – le cygne noir – et la quasi disparition de Rothbart, posent question. El Meddeb s'est affranchi de l'acte III, qu'il considère comme trop folklorique…au détriment de la cohérence d'une œuvre, qui ne renonce pas complètement à la narration. Les relations entre les danseurs, dont les rôles sont interchangeables et les expressions neutres, ne sont pas déterminées, laissant l'impression d'un univers désincarné.

Le chorégraphe semble être resté au milieu du gué, lançant de nombreuses pistes intéressantes sans toutefois les exploiter jusqu'au bout ni déterminer clairement son intention artistique.

Crédits photographiques : Agathe Poupeney

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