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Premier ouvrage en français sur les musiques dans l’Italie de Mussolini

Foisonnant d'informations, multipliant les grilles de lecture, cet essai suscite pourtant quelques interrogations. Souhaitons, par dessus tout, qu'il fasse connaître nombre de compositeurs demeurés aujourd'hui encore dans l'ombre.

Les périodes de totalitarisme sont propices à l'étude des arts. En témoigne le nombre d'ouvrages consacrés à l'Allemagne nazie et à la Russie communiste. L'Italie est un cas à part qui ne semble avoir intéressé que… les Italiens eux-mêmes ! La raison principale en est l'absence criante de connaissances sur les compositeurs italiens en dehors de leur pays. Une seule figure domine aujourd'hui encore le paysage musical : et ce, malgré nombre d'enregistrements consacrés à d'autres musiciens de la première moitié du XXe siècle. Ce livre, le premier en français, évoque avec érudition, le foisonnement musical de l'Italie pré-fasciste et la violente réaction d'une partie des compositeurs contre l'hégémonie de la scène lyrique au XIXe siècle (la fameuse « generazione dell'Ottanta » réunissant des personnalités telles que Respighi, Casella, Malipiero et Pizzetti). L'ouvrage passe en revue tous les sujets et questionnements des musiciens italiens : choix esthétiques et moraux, enseignement de la musique, rapports avec l'État et les institutions culturelles, l'opéra, le cinéma, etc.

Dénouer la complexité des rouages d'une telle société représente un grand défi. Sur le plan de la forme, tout d'abord. L'éparpillement des données, la multiplication des annexes au sein même du texte, une maquette plutôt “rude” ne facilitent pas la lecture pour les mélomanes qui voudraient comprendre les intérêts en jeu, les contradictions entre les courants musicaux, l'influence du régime sur la Culture.

Sur le fond, ensuite. Il est impossible de traiter un tel sujet sans décrire précisément ce que fut le fascisme, ses origines et sa profonde originalité. Cela détermine le comportement de la société italienne et donc celui des artistes. Dans son récent et remarquable ouvrage, Histoire du Fascisme, paru aux éditions Perrin, Frédéric Le Moal le définit ainsi : « il ne fut pas une idéologie conservatrice et encore moins réactionnaire, un héritier de la contre-révolution et de son immobilisme. Le fascisme fut une révolution sociale, politique, culturelle et surtout anthropologique. Le fascisme appartient à l'univers politique et culturel de la gauche révolutionnaire par son culte du progrès, sa tentation démiurgique, son aspiration à transformer l'Homme, par son anticléricalisme, par son républicanisme, par sa volonté de dépasser le capitalisme et de soumettre l'économie à la politique ».

Cela se traduit sur le plan musical – et les auteures le présentent avec justesse – par l'attrait pour le passé musical avec la redécouverte et l'étude approfondie des œuvres de Vivaldi et de Monteverdi, par exemple, mais aussi par l'intérêt pour la création et les musiques d'avant-garde : avant-garde russe des années vingt, futurisme, sérialisme, néoclassicisme, etc. Pour les compositeurs engagés, il s'agissait de bâtir une musique authentiquement nationale en refusant tout modèle étranger. La rupture avec les esthétiques passées (vérisme, wagnérisme, impressionnisme…) devait être consommée. Nombre d'intellectuels (Malaparte et Pirandello, par exemple) et d'artistes furent fascinés par ce prodigieux espace de création annoncé par un Gabriele d'Annunzio et porté avec passion par le nouveau régime, du moins durant les premières années de son existence. La guerre en Éthiopie qui débuta en 1935 causa la première grande brisure dans la société italienne. L'engagement auprès de l'Allemagne nazie fut la seconde. La chute du fascisme, en 1943 avec le retournement des alliances devint inéluctable. L'Histoire, une fois encore, expliqua l'extrême politisation des artistes au lendemain du conflit, comme pour mieux oublier une période si délicate et complexe à décrire.

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