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Le spectacle participatif Zerballodu d’Alexandre Lévy à la Philharmonie

Deux cent soixante-dix collégiens sur le plateau de la Philharmonie de Paris, dans un contexte résolument vert : c'est l'effectif choral de Zerballodu, le conte écologique d' et Gérard Poli accueillant petits et grands pour la représentation de ce samedi matin à onze heures.

Zerballodu est une commande de l'Orchestre National d'Île-de-France, dans le cadre de son projet participatif annuel, « Chantons et jouons avec l'orchestre ». L'aventure musicale est d'envergure et l'énergie des participants phénoménale. Côté voix, les collégiens ont travaillé depuis octobre 2018 avec leurs professeurs respectifs, puis avec la cheffe de chœur et le chef d'orchestre . Côté instruments, une trentaine de jeunes musiciens issus de onze conservatoires d'Île de France ont été sélectionnés pour vivre cette expérience aux côtés de leurs aînés, les membres de l'ONDIF très impliqués.

Conçu à quatre mains par le compositeur et son complice, le librettiste Gérard Poli, Zerballodu (Bulledozer en verlan) nous parle d'écologie, de préservation de la nature et du danger de la déforestation en Amazonie à travers l'univers du conte et les ressorts du merveilleux. Ainsi s'engage une lutte entre les Arbres, incarnés par quelques 235 choristes (deux chœurs à voix égales, tout de blanc vêtus) placés sur les rangs de l'arrière-scène et les Casques, trente-cinq gaillards aux voix graves et en combinaison de travail, galvanisés par leur chef de chantier (« Allez les gars ») et le tambour militaire. Deux chanteurs professionnels partagent la scène à leurs côtés : la soprano , passant d'un camp à l'autre selon les rôles qu'elle endosse ; quant au baryton , mi-homme, mi-arbre, avec son buisson sur la tête, il est le Chamane censé relier l'esprit des hommes et les forces de la nature.

« Attention au Zerballodu, le monstre qui gronde sur notre seuil » : le conte écrit par Gérard Poli est un long poème à la langue sonore et joueuse (« ratiboisez-moi tous ces bois! ») dont s'empare : impossible certes, dans l'acoustique réverbérante de la Philharmonie, d'en bien saisir les subtilités, même si les scènes parlées sont plus explicites. Mais la manière répétitive qu'adopte le texte et les nervures rythmiques que lui donne la musique en distillent la substantifique moelle sonore. La fantaisie, l'humour et l'invention sont à l'œuvre dans une partition aussi foisonnante qu'exigeante, où le compositeur fait souvent interagir les différentes sources sonores, chorale, orchestrale et électroacoustique, dans une mixité très subtile : telle cette première page (les sons de la forêt) où les interventions bruitées des « Arbres » et quelques touches colorées des percussions se fondent dans le « paysage sonore » entendu à travers les haut-parleurs. À côté de , la cheffe de chœur veille au grain. Comme dans L'Enfant et les sortilèges de Ravel, dont on perçoit çà et là les échos, des contrastes sont ménagés entre les différentes scènes, pour aiguiser une attention qui ne se relâche jamais : ainsi ces chansons pêchues, confiées au double chœur et finement orchestrées, qui nous font basculer dans le monde de la comédie musicale de la meilleure veine. Ou encore cette drôle de scène au refrain musclé, où très en verve, et dans un « grand air » fort séduisant, inventorie le contenu de son chariot de nourriture lyophilisée dont se régalent les Casques. Comique certes, et fort bien assumé, le « cri de guerre » de ces derniers (« oui chef ! »), d'un effet synergique bluffant, n'en est pas moins inquiétant. Les casques jaunes et les gilets bleus sont fonctionnels, la mise en scène d'Édouard Signolet et les lumières de Tristan Mouget tirant tout le parti de l'espace déployé autour de l'orchestre. Les révélations du Chamane ( au baryton généreux) donnent lieu à des épisodes plus tendus où l'orchestre luxuriant, rehaussé d'un important pupitre de percussions, sert efficacement la dramaturgie.

Épaulé par , Léo Warynsky nous impressionne par la belle autorité de sa direction et la fluidité qu'il obtient au sein des forces en présence. C'est l'émotion qui nous étreint quant à la tenue exemplaire et l'engagement des jeunes participants dont la plupart n'avait encore jamais passé la porte d'une salle de spectacle.

Crédits photographiques : © Manuel Braun ; Philharmonie © Florence Riou

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