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Vers l’Ailleurs par Gaspard Dehaene

Vers l'Ailleurs de emmène entre mers et terres, au fil du temps, à travers un programme en double hommage : à Liszt et Schubert et également à son grand-père, l'écrivain de la mer Henri Queffélec.

Aufenthalt (le séjour) est une transcription de Liszt, extrait du recueil posthume Schwanengesang, souvent considéré comme la dernière composition de Schubert. Dans cette pièce attachante, une multitude de sentiments se succèdent. Le pianiste propose un jeu empreint de chaleur qui fait ressortir l'exaltation ardente. La nostalgie et l'attachement au lieu décrit est magnifié, le regard tourné vers l'horizon. La touche lisztienne ajoute une urgence vibrante. Ces états d'âmes changeants, éclairés ou assombris par un bref épisode orageux, nous conduisent vers un état d'acceptation. Auf dem Wasser zu singen est également une transcription d'après un lied, un poème (Chanter sur l'eau) écrit par le poète allemand Friedrich Leopold zu Stolberg-Stolberg. La ligne est douce et poétique et son pianisme instaure un côté rêveur. L'équilibre entre les deux mains souligne l'harmonie des voix.‎ Le pianiste fait entendre la voix lisztienne en fin de morceau, caractérisée par sa fougue brute.

La Mélodie Hongroise marque une nouvelle étape dans le périple. Empreint d'une nostalgie pénétrante, cet ailleurs-là évoque un folklore authentique. Le phrasé est fluide et nous touche par son intimité presque enfantine. Ce joyau mélodique est une fenêtre ouverte sur l'âme de ce pays, comme un instantané de son histoire avec ce qui en fait sa richesse.
Liszt et sa Rhapsodie Espagnole nous rappellent le goût prononcé du compositeur pour le voyage. Composée dix ans après des séjours à travers l'Espagne et le Portugal, cette pièce flamboyante fait partie des œuvres redoutables du compositeur. L'interprétation est aérée et ne manque pas de mordant avec ses contrastes parfois extrêmes, sa passion volcanique mais aussi ses plages poétiques d'une profonde spiritualité. Le jeu de ne se laisse pas emporter par l'aspect souvent torrentiel de la partition. Il parvient à garder un certain contrôle dans la ligne architecturale, notamment du point de vue rythmique, et son toucher sensible souligne certains motifs caractéristiques dont le deuxième thème, la Jota aragonaise, jubilatoire mais aussi d'un éclat lumineux.

Quand la terre fait naufrage, écrite par , a été commissionnée par le pianiste. On pourrait voir ce morceau moins immédiat, comme en rupture avec ce qui précède. Ses sonorités mystérieuses nous attirent pourtant avec cette utilisation en boucle de motifs qui tournent et retournent au dessus de nous comme pour tout engloutir. Cette pièce décrirait les sensations et les bruit entendus une fois sous l'eau, dans la mer. On imagine un mouvement de vagues puis, une tempête agitée avant le naufrage et sa conclusion amère qui résonne des profondeurs.

Le voyage devient intérieur avec Schubert et son avant-dernière sonate, composée deux mois avant sa mort. Il s'agit ici d'un enregistrement de concert qui met en lumière toute la modernité de langage. Elle retient le temps et semble l'arrêter par moments comme pour mieux cristalliser divers états d'âme. La tonalité de la majeur épouse un caractère allant, proche d'une forme de bonheur avec des envolées lyriques ciselées (Scherzo) et une sérénité tendre dans son final visionnaire. Mais que serait Schubert sans ses plages d'une tristesse bouleversante qui nous touche au plus profond ? Ainsi, l'Andantino est poignant de vérité, sa mélancolie saisissante. D'une beauté contemplative, ses nuances nous touchent par son émotion douloureuse, sa vérité crue qu'expriment ces moments de révolte.

L'unité de ce disque, contrasté avec finesse, est une réussite tout comme la prise de son, directe et équilibrée.

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