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Le legs Philips d’Eduardo del Pueyo enfin disponible

Le label Eloquence nous restitue enfin, plus de trois décennies après que les premiers disques compacts ont vu le jour, le legs Philips d'. Une entreprise qui mérite largement notre attention.

Bien que le pianiste jouisse d'une réputation de pédagogue remarquable, ayant enseigné à la Chapelle musicale Reine Élisabeth à Waterloo, son héritage discographique reste trop méconnu. Le présent coffret, paru sous la filiale australienne de l'Universal, est désormais susceptible de changer cet état de fait. Nous y trouverons l'ensemble des gravures que l'artiste a réalisé dans les années 1955-1959, c'est-à-dire à l'époque du passage de l'enregistrement mono à stéréo.

L'approche pianistique d' se caractérise par un naturel conjugué à la diversité des couleurs dans toute une gradation du clair à l'obscur. Sa musicalité innée, encore qu'un brin introvertie, est au rendez-vous de la maîtrise technique, du goût de la finesse et d'une intelligence nourrissant la dimension réfléchie et contrôlée de l'expression.

C'est de cette façon que le Prélude, choral et fugue de (enregistrement stéréophonique) est comme une immense fresque brossée avec de larges coups de pinceau. En voici une représentation sombre, contemplative, olympienne et gravement sculptée dans le marbre, mais aussi, par instants, chatoyante de couleurs dans le choral. Comparez cette exécution, se plaçant au juste sommet de la discographie, avec celle donnée par Sviatoslav Richter dans les dernières années de sa vie (disque SWR). Toutes les deux sont sublimes et, bien que différentes l'une de l'autre, nous font découvrir des facettes jusqu'alors inexplorées de cette partition.

En ce qui concerne les Bach (également en stéréo), nous avons affaire à un Concerto italien baigné de lumière, jalonné par la légèreté des trilles et empreint d'un dialogue subtil. Pour la Partita n° 1, le soliste propose une lecture sereine, poétique et parfois rhétorique. Si, dans les mouvements lents, elle est marquée par un timbre radieux et pur, elle se pare, pour les parties rapides, d'une articulation piquante et précise, faisant penser au jeu de clavecin.

Pour ce qui est de l'interprétation des sept sonates de Beethoven présentes ici, dont deux seulement sont gravées en stéréo (et dont l'intégrale aura été enregistrée par Eduardo del Pueyo dans les années 1976-1977 pour le label belge Pavane), on retient principalement celle de la Waldstein, de la Pathétique et de l'Appassionata. Pour la première, le pianiste fait preuve d'un toucher cristallin, résultant probablement d'un usage relativement restreint de la pédale droite. Le finale, tout à la fois solennel et chantant, impressionne par la rondeur du timbre, ainsi que la limpidité des textures dûment maîtrisée, et pourtant frappée au sceau de la fraîcheur, la virtuosité et l'énergie. Pour la Pathétique, la puissance et la fougue du Grave. Allegro di molto e con brio se voient ici opposées à la douceur du mouvement central. Si l'expression du soliste nous paraît, pour cette prestation, plus que juste, on ne comprend pas pourquoi sa sonorité est délicatement métallique dans les registres grave et medium. Est-ce dû à la prise de son ou aux reports qui, assurés par Paschal Byrne et Chris Bernauer, nous semblent en général irréprochables ? Last but not least, mettons en avant l'interprétation de l'Appassionata. Massive et, par moments, chauffée à l'extrême, elle est tendue et se distingue, d'une part, par l'impulsivité (que certains pourraient voir comme hystérique) et, d'autre part, par une froideur glaciale.

Pour les Danzas españolas et les Goyescas (gravures monophoniques) d', nous ne pouvons nous abstenir de comparer la lecture donnée par Eduardo del Pueyo à celle d'Alicia de Larrocha. Si les interprétations signées, dans les années 1960, par la pianiste (dont la mère avait été l'élève du compositeur lui-même) sont empreintes d'un raffinement de style fort admirable et peuvent être considérées comme un modèle en ce qui concerne la mise en valeur de la transparence architecturale de ces pages, celles d'Eduardo del Pueyo, d'une tenue dominée par le souffle romantique, nous apparaissent tel un livre bourré d'histoires touchantes, en chair et en os. Ces « récits » sont pénétrés par de vives émotions, surtout ponctuées de chagrins, mais également de petits moments de joie et de bonheur. Et tout cela se voit parsemé, particulièrement pour les Goyescas, de jeux de demi-teintes tantôt sombres, tantôt scintillantes, qui, d'un côté, scellent ces prestations d'un cachet crépusculaire, non exempt d'intensité, et, de l'autre côté, les tournent en sortilèges évoquant les anges et les démons des abîmes de l'âme ibère. Par ailleurs, cette approche nous révèle la face purement humaine, par moments même bouleversante de l'œuvre de Granados.

L'album se clôt sur les Nuits dans les jardins d'Espagne de (en mono), dont l'interprétation est ardente, dramatique et expressionniste plutôt qu'impressionniste, et ce, à cause d'une certaine sécheresse du ton, de l'impulsivité et des contrastes de couleurs. Dénuée de pathos et de nostalgie, elle fait penser, par instants, au surréalisme, encore que la création de l'œuvre ait anticipé le manifeste de ce mouvement d'une huitaine d'années. à la tête de l'Orchestre des Concerts Lamoureux fait des merveilles en termes de variété de la palette des nuances et de beauté évocatrice des images qu'il crée par l'intermédiaire des sonorités envoûtantes.

Voici un coffret dont ne devraient pas se passer les admirateurs des grands pianistes du passé.

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