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Angelin Preljocaj libère la danse à Montpellier

crée Soul Kitchen avec des femmes détenues. Un moment de grâce et d'émotions qui nous fait découvrir une danse joyeuse, sensuelle et sans artifices.

Depuis plusieurs années déjà, amène avec le GUID (Groupe Urbain d'Intervention Dansée) du la danse là où elle ne peut entrer, en animant des ateliers en milieu carcéral et en présentant des extraits de répertoire. C'est dans ce contexte qu'il restitue avec Soul Kitchen, le travail effectué dans des ateliers auprès de cinq femmes volontaires du centre pénitentiaire Baumettes 11 à Marseille, pendant quatre mois, à raison de deux ateliers par semaine. Plus qu'une restitution, c'est avant tout une aventure humaine que le chorégraphe a transformé en un projet artistique.

C'est la première fois qu'il crée avec des non- professionnels. Très vite une question s'est posée : que puiser dans ces corps qui ne sont pas aiguisés, qui ne savent pas se situer dans l'espace, qui ne savent pas mémoriser un mouvement ? « On est déformé, dit le chorégraphe, les chorégraphes et le public aussi, car la danse est un langage. Mais 90 % des gens ne connaissent pas les codes. Et avec ces femmes, j'ai vu que les codes ne fonctionnaient pas. Beaucoup de choses étaient étranges pour elles, incompréhensibles. » Le travail en ateliers s'est confronté à l'espace de l'univers carcéral exigu où les corps sont confinés, délaissés et ne respirent plus, pour aller vers la réappropriation du corps et du toucher. Constatant que beaucoup de détenus – hommes et femmes – cuisinaient dans leur cellule, le chorégraphe s'empare de la notion de goût et d'odorat et inscrit le temps de la pièce sur le temps de cuisson de cookies au chocolat qu'elles confectionnent sur scène.
Une parenthèse vivante et humaine.


De ces femmes qui cuisinent d'abord derrière leur table et rejoignent ensuite le centre du plateau, on retient une sensation de légèreté et beaucoup de générosité. Elles sont belles (elles sont âgées de 19 à 62 ans) et dévoile avec finesse leur élégance et leur sensualité. Elles jouent de leurs long cheveux, de l'ondulation des corps, du désir latent mais aussi de leur énergie débridée, comme, par exemple, dans le solo de la plus jeune d'entre elles qui ressemble à celui d'un cheval fou. C'est un moment de danse qui fait sans doute du bien à ces femmes ainsi qu'à nous spectateurs. On le prend comme une danse du réel, écrite mais hors formatage.

Angelin Preljocaj réussit à donner à ces corps différents la même épaisseur que celle des professionnels. C'est assez bluffant et l'on en redemande. Demeure alors ce que ces femmes vivent à l'intérieur d'elles-mêmes et l'impact de ce travail sur leurs corps incarcérés et leur vécu. Soul Kitchen devrait être présenté dans d'autres lieux, notamment et c'est intéressant, devant les élèves de l'école d'Angers qui forme les surveillants pénitentiaires. Il le sera aussi devant un public qui n'est pas celui de l'univers carcéral ce qui est nécessaire pour donner un sens à tous ces corps invisibles derrière les murs de la prison.

Crédit photographiques : © Jean-Claude Carbonne

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