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Réédition du monument discographique straussien de Kempe

De vieilles connaissances font leur apparition dans cette nouvelle présentation budget Warner Classics avec visuels des pochettes originales : le corpus orchestral de dans l'admirable interprétation du chef d'orchestre allemand (1910-1976) à la tête de la non moins admirable , phalange et chef étroitement associés à et sa musique.

Précisons d'emblée que l'affirmation « Œuvres orchestrales complètes » du coffret est abusive, car il ne s'agit nullement d'une intégrale orchestrale de , ni même d'une intégrale orchestrale Strauss par , puisqu'il y manque les versions EMI antérieures (juin 1958) de Till l'Espiègle op. 28 et Don Quichotte op. 35, avec l' et également en soliste (qui était, avec Pierre Fournier, le spécialiste de l'œuvre : deux Français !). Il aurait été opportun et instructif d'inclure ces versions, considérées par beaucoup comme supérieures, en bonus dans cette réédition. De plus, certaines œuvres ne sont présentes ici que sous forme d'extraits : « fragment symphonique » du ballet La Légende de Joseph et « valse » du ballet Schlagobers (Crème fouettée) ; et où sont donc la Festmarsch op. 1, les Symphonies n° 1 en ré mineur et n° 2 en fa mineur, le Prélude festif pour orchestre et orgue un temps enregistré par Karl Böhm, la Japanische Festmusik, le Divertimento pour petit orchestre, les intermèdes orchestraux d'Intermezzo et d'autres opéras ? Le décès prématuré de à l'âge de 65 ans ne lui a hélas certainement pas permis de parachever son œuvre discographique…

Cela dit, quelle aubaine de toujours pouvoir disposer de ces joyaux historiques de la discographie straussienne, et dans des conditions sonores plus remarquables encore qui exaltent les qualités de direction subtile du chef et de transparence de l'orchestre, quelle que soit l'œuvre abordée. Cette parution, affichant un Rudolf Kempe en pleine action, est la simple réédition de la production Warner 2013 remasterisée à partir des bandes originales est-allemandes (EMI, par sa filiale munichoise Electrola, collaborait avec le label discographique Eterna de la VEB Deutsche Schallplatten Berlin, RDA) montrant, elle, un Richard Strauss hiératique (visuel ci-dessous). Signalons toutefois que certains de ces enregistrements, accomplis de façon magistrale par l'ingénieur du son allemand Claus Strüben, ont été initialement publiés sur microsillons EMI au format SQ Quadraphonic, introduit en 1971 par CBS sur support vinyle. Dans ce cas, verra-t-on peut-être un jour une nième apparition de ces gravures légendaires sous forme de SA-CD ou Blu-ray multicanaux ?

Né à Niederpoyritz près de Dresde le 14 juin 1910, Rudolf Kempe fut formé en tant que pianiste et hautboïste à l'école d'orchestre de la Sächsische entre 1924 et 1928. Sa carrière de musicien le mènera dans diverses villes telles que Dortmund, Leipzig (Gewandhaus et Opéra), Chemnitz, Weimar, Dresde (Staatskapelle), Munich, New York (Met), Londres, Bayreuth, Bamberg, Berlin. Il fut ensuite choisi personnellement par le sévère Sir Thomas Beecham dont il avait été l'assistant pendant quelques mois, pour succéder au Royal Philharmonic Orchestra à Londres, de 1961 à 1975. Le superbe enregistrement RCA-Victor de la Symphonie alpestre date de cette époque (27 avril 1966). Mais surtout, dès le 6 juillet 1968, l'association EMI-Electrola – Eterna permit, en pleines difficultés de la Guerre Froide, d'accomplir la gravure intégrale éblouissante de l'opéra Ariadne auf Naxos avec la , et qui donc était le chef d'orchestre le plus désigné par son charisme pour diriger la célèbre phalange à la Lukaskirche à cette occasion ? Le Dresdois Rudolf Kempe, bien évidemment ! Le succès de cette gravure fut tel qu'il constitua avec enthousiasme et confiance le point de départ pour offrir à Kempe d'entreprendre la série d'enregistrements orchestraux sous rubrique, qui restent encore aujourd'hui une référence essentielle, tout en confirmant, si encore nécessaire, le statut de la Staatskapelle de Dresde comme orchestre straussien par excellence.

Rudolf Kempe, musicien d'une modestie exemplaire, faisait partie de l'ancienne et solide école de ces Kapellmeister – chefs d'orchestre germaniques que l'on trouvait notamment en Allemagne de l'Est, entre autres à Dresde et Leipzig : Karl Böhm, Fritz Busch, Franz Konwitschny, Wolfgang Sawallisch, Otmar Suitner… tous musiciens répondant sans restriction à la devise de Carl Schuricht : « mieux vaut servir une cause plutôt que de s'en servir », autrement dit des personnalités ne se plaçant jamais au premier plan et ne visant pas principalement le succès (contrairement à certains…), mais entièrement dévouées à leur art par un travail assidu, consciencieux et approfondi.

Bien sûr, il est toujours permis, pour l'une ou l'autre œuvre straussienne, de préférer Clemens Krauss ou Karl Böhm, ces deux grands amis du compositeur, et même Fritz Reiner ou George Szell, mais avec ces enregistrements de Rudolf Kempe et la Staatskapelle de Dresde dans cette édition impeccable, vous pouvez être absolument certains de ne pas vous fourvoyer.

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