- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Magistral huitième volume de l’intégrale Haydn par Jean-Efflam Bavouzet

Il y a des sommes musicales qui s'ordonnent en parfaite logique, comme on place une à une les pièces d'un mouvement d'horlogerie : il y faut une extrême minutie et ne pas mesurer son temps. Ce huitième volume de l'intégrale du pianiste français en est la démonstration.  

Dans cette intégrale des pièces pour piano seul de Haydn, a choisi les pièces selon leurs “affinités électives”. Celles-ci prévalent sur un ordre chronologique qui serait fastidieux autant pour l'interprète que pour l'auditeur. Le pianiste s'approprie le chant, la densité expressive de chaque œuvre. Il magnifie parfaitement ce que ce classicisme – que l'on a cru longtemps austère – révèle de trouvailles, de digressions stupéfiantes, de surprises réjouissantes. Rien ne semble détourner le compositeur et par conséquent l'interprète, de partitions aussi épurées d'indications et, par là même, aussi riches de promesses.

C'est ainsi que la Sonate n° 5 en sol majeur (sous-titrée “divertimento”) babille avec vivacité et légèreté. La variété des attaques surprend autant que les silences. Tout est, ici, dans l'impulsion, l'envie de convaincre l'auditoire. D'une nature moins “pudique” encore, la Sonate n° 51 en mi bémol majeur, aux rythmes pourtant délicats, n'hésite pas à griffer les notes et à jouer de contrastes spectaculaires. La sensibilité mozartienne, sinon préromantique, se dévoile dans l'adagio ma non troppo emprunté au mouvement lent du Trio n° 36. Son émotion ne doit pas en troubler l'architecture. Les contrastes sont encore plus vifs dans la Sonate n° 6 en ut majeur. Épurée dans ses ornements, laissant l'impression d'une confidence, elle explose d'énergie dans le finale. Le toucher si concentré évoque, sous les doigts du pianiste, la brillance des sonates de Scarlatti.

Aucun risque non plus de s'ennuyer dans la Sonate n° 7 en ré majeur dans laquelle Haydn utilise la forme de la variation. Une fois encore, Bavouzet adapte son jeu à un lyrisme presque français, insistant juste ce qu'il faut sur les effets “galants”. Si le piano moderne ne permet guère la richesse des timbres du clavecin ou du pianoforte (pour ce qui concerne la Sonate n° 59) dans ces passages marqués par le baroque, c'est à l'interprète de donner l'illusion. Le pianiste offre un finale cinglant, à l'énergie déjà beethovénienne.

Le thème Gott Ehalte Franz den Kaiser extrait du Quatuor “Kaiser” deviendra celui de l'hymne de l'Empire autrichien. Il est traité sous forme de variations. L'interprétation est aussi élégante que chantante. La Sonate n° 59 en mi bémol majeur renoue avec le pressentiment beethovénien. Le thème si rythmique et la polyphonie chargée sont magnifiquement servis par un toucher aussi délié que subtil. Il y a tant d'humour dans cette musique ! C'est du très grand Haydn servi par une interprétation dont l'approfondissement et le charme n'ont rien à envier aux lectures de Serkin, Firkusny, Buchbinder et Brendel.

(Visited 1 221 times, 1 visits today)