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Des ténèbres à la lumière avec les Zippoventilés

Voici le troisième CD que nous propose l'ensemble dirigé par Benoit Dumon. Il a choisi d'illustrer l'expression musicale de la Semaine Sainte en France au tournant des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. Des Leçons de Ténèbres de Charpentier et Couperin alternent ici avec des pièces jouées à l'orgue de Vinça et nous conduisent à la joie pascale.

Durant le règne de Louis XIV, les Leçons de Ténèbres, chantées à l'origine à l'office nocturne des matines de la Semaine Sainte dans les couvents, deviennent de véritables concerts mondains auxquels se presse la noblesse privée de spectacles musicaux durant le Carême. a écrit cinquante Leçons, où l'on retrouve l'influence italienne de ses années de formation : dissonances, surprises harmoniques, raffinement de l'ornementation, tout est au service d'une rhétorique propre à émouvoir.

A la génération suivante, les Leçons de Ténèbres de reprennent ce style élégiaque et raffiné, et poussent au paroxysme l'expressivité dans le traitement des vocalises qui illustrent les lettres hébraïques en ouverture de chaque verset. La célèbre Troisième Leçon pour le Mercredi Saint est un sommet du genre. Après un motet de la Passion écrit par Charpentier, qui rappelle les extases des grandes mystiques de l'époque, le programme s'ouvre à la joie de la Résurrection avec le motet pour le jour de Pâques de Couperin, dont le caractère joyeux contraste avec les lamentations qui ont précédé. Il est encadré par deux pièces d'orgue magistrales ; le grand offertoire sur O Filii de Dandrieu conclut en majesté cette superbe illustration de la piété baroque.

Le contre-ténor et organiste Benoit Dumon a fondé l'ensemble Les Zippoventilés en 2013. A géométrie variable selon les programmes, il est ici composé de deux sopranos, les excellentes Gaëlle Vitureau et Lisa Magrini, d'une basse de viole (Romane Kriger) et de Benoît Dumon qui réalise la basse continue à l'orgue de Vinça. Ce choix d'accompagner ces motets sur un grand orgue de tribune (ici, un orgue de Jean-Pierre Cavaillé restitué par Gerhard Grenzing en 1986) est tout à fait conforme à la pratique de l'époque. L'utilisation d'un orgue-coffre souvent trop discret ne permet pas d'apprécier tous les contrastes et l'ampleur qu'apporte l'utilisation d'un grand 16 pieds. Parfaitement réalisé ici, on souhaiterait cet usage plus répandu, qui permet à ce répertoire d'exprimer sa pleine mesure, alors que ces pièces sont trop souvent traitées comme d'aimables miniatures.

Dans cet enregistrement, la couleur des voix, leur souplesse, leur ampleur, la liberté de leur expressivité, tout est magnifié par un accompagnement qui se met à l'unisson des affects. Quant aux pièces d'orgue qui s'intercalent entre les motets, elles mettent en évidence les qualités de coloriste de Benoit Dumon, très à l'aise dans ce répertoire qu'il connaît assez bien pour pouvoir improviser un grand plein-jeu avec le cantus firmus en taille que l'on croirait écrit par Grigny ou Marchand.

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