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Maria Grinberg, une héroïne (presque) inconnue du piano

A défaut d'une intégrale, nous disposons, pour la première fois, d'une large anthologie de (1908-1978), une artiste hors-normes. En effet, la pianiste s'approprie les partitions avec une liberté de ton inouïe et sur des instruments dont la plupart ne sont pas fameux. Son jeu jaillit, aussi imprévisible que spontané. Une magnifique résurrection. On regrettera d'autant plus l'absence d'un livret.

naquit à Odessa. Elève de David Aisberg qui donna également des cours à Horowitz, elle étudia à Moscou. Son père et son époux furent exécutés lors des purges de 1937. Elle mena une carrière discrète, avant de pouvoir à nouveau jouer après la déstalinisation. De santé fragile et peu soucieuse de sa carrière, elle se consacra à l'enseignement.

Commençons par les “classiques”. Les Bach sont d'une grande clarté, dans la tradition russe qui privilégie le chant. On songe ici à Richter. L'intégrale des sonates de Beethoven ainsi que des captations éparses (Sonates n° 1 à 4, 7, 8, 12, 14, 21, 23) est l'essence même de l'art de Grinberg : un style hyper-narratif et une prise de risques constante, au péril de sombrer ! Les tempi sont très vifs dans les sonates de Mozart, pré-beethovéniennes. Dans Padre Soler, le jeu imite le clavecin et les sonates de Scarlatti sont aussi cinglantes qu'élégantes.

L'univers romantique de la pianiste est plus essentiel encore. Les Schubert sont dramatiques, “théâtralisés”. Les Brahms ont un chic fou avec des ballades à la sonorité pleine et des tempi tenus sans relâche. Les Etudes symphoniques de Schumann sidèrent par leur lyrisme. Les Ballades de Chopin (la deuxième est absente) donnent le vertige, tant les oppositions de couleurs sont portées à leur paroxysme. Grinberg traduit l'intimité des atmosphères des Chants sans paroles de Mendelssohn, qui vibrent avec tendresse. D'une vélocité inouïe – quelle fugue ! – la Sonate en si mineur de Liszt captée en 1952 témoigne d'une technique ahurissante. La netteté des attaques est imparable. Le lyrisme jusqu'à l'emphase irriguent les lieder de Schubert revus par Liszt. C'est osé et splendide à la fois.

Dans le répertoire russe, le second mouvement du Concerto n° 3 de Rachmaninov laisse l'orchestre en plan, littéralement perdu devant les accélérations de Grinberg. Les Préludes et Moments musicaux sont d'un tranchant et d'une violence stupéfiante. A l'opposé, le Concerto n° 1 de Chostakovitch pétille d'humour et de légèreté. La Sonate n° 4 de Weinberg, l'une des premières lectures avec celles de Marina Mdivani et Oxana Yablonskaya, paraît épurée et austère. est aussi efficace dans ses interprétations de Prokofiev, “dévalées” avec autant d'énergie que de panache.

La musique française respire avec beaucoup de couleurs. Les touches à peine effleurées, on croit entendre Debussy lui-même dans ses témoignages Welte-Mignon. Tout est juste et impérial avec, en prime, la stéréo des Variations symphoniques de Franck. Quel piano grandiose et chaleureux !

Ce coffret recèle aussi de nombreuses raretés. Telle Gigue de Graun, tel Menuet et toccata de Seixas ou bien Fantaisie de Telemann, Pastorale d'un Concerto Grosso de Corelli dans l'arrangement de Godowski… Qui jouait, en 1951, les Chants du Rhin de Bizet ? Le toucher perlé est superbe. Décidément, on ne se lasse pas d'écouter ce coffret…

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