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Retour à Bach avec Kei Koito à Groningen

L'organiste japonaise poursuit inlassablement sa quête musicale auprès des grandes pièces pour orgue de . Attachée à la magnificence de l'orgue Schnitger de la Martinikerk de Groningen, elle nous offre un nouveau florilège puisé dans les grands diptyques et les chorals, complété par un trio transcrit dans un but pédagogique par le compositeur à partir de ses cantates, et un autre … inédit.

retrouve l'orgue de la Martinikerk de Groningen qui semble cher à son cœur tant elle sait nous le prouver au travers de cette nouvelle production. Elle propose un récital Bach puisé dans les pièces qu'elle aime tout particulièrement et qui à ce jour n'avaient pas encore fait l'objet d'un enregistrement de sa part. L'excellent texte de présentation de George B. Stauffer nous permet d'approcher l'intimité des pièces choisies et il est judicieusement complété par celui de l'interprète, encore plus introspectif et disponible (ainsi que la liste des registrations) sur le site de l'artiste.

L'orgue Schnitger restauré par Jürgen Ahrend est une célébrité et marque profondément tous ceux qui s'en approchent. Michel Chapuis rapportait combien cet instrument l'avait impressionné, plus que beaucoup d'autres, par la grâce de ses voix multiples et émouvantes. On est tout d'abord plongé dans un son capté de manière parfaite, équilibré et savoureux, qui exprime la forte dynamique de l'orgue, non pas seulement des seuls tuyaux, mais grâce au toucher particulier de l'organiste. Le jeu est intense, au fond du clavier, et garde en même temps cette aération dictée par une rythmique concertante, qui apporte au discours une expressivité rare pour un tel instrument.

Ainsi se déroule un programme alternant préludes et fugues avec chorals et transcriptions. La Toccata dorienne illustre ce style concertant si cher à Bach, découvert auprès des compositeurs italiens de son temps. Il confirme cette opposition tutti-soli en indiquant, ce qui très rare chez lui, les changements de claviers. Au cours de la pièce, il entremêle les deux plans principaux laissant apparaitre en creux comme une vis sans fin sur un autre clavier imaginaire. La fugue, elle, est construite comme toujours chez Bach en fonction même des caractéristiques du thème, qui ici évoque celui d'une passacaille. L'auteur l'exploite ainsi, réexposant à chaque fois le thème par la basse, en une longue et impressionnante traversée contrapuntique. Un autre exemple attire l'attention avec le Prélude et fugue en sol mineur BWV 535, dont l'interprète propose également une version primitive du prélude. Comme un vent de bourrasque, l'incipit du prélude impressionne par ses images virevoltantes, incroyablement révélées sur un clavier d'orgue. La pédale arrive sur la pointe des pieds en suggérant, déjà, le thème de la fugue … génial ! Une autre pièce savoureuse est ce Trio en Sol mineur, transcrit par Bach à partir de sa Cantate BWV 166, d'un lyrisme débordant, qui permet d'entendre le jeu de hautbois du positif de dos, à l'imitation de l'orchestre baroque. Les chorals de divers styles offrent une palette sonore des plus complètes. Certains sont tirés de l'autographe de Leipzig dont O Lamm Gottes, unschuldig BWV 656, très développé, en trois parties plus une coda et évoquant la Trinité. Le deuxième verset fait entendre le thème à l'alto, ce que met en relief avec originalité par un jeu d'anche aigu de pédale du plus bel effet.

« L'organo pleno » de Groningen soutient le Prélude et sa fugue en sol majeur BWV 550, d'inspiration buxtehudienne pour le prélude et perpetuum mobile pour la fugue qui se déroule à perdre haleine, jusqu'à la coda avec sa montée de pédale, comme pour gravir un raide escalier. L'orgue est registré de manière claire, aérée, le discours demeure limpide dans ses moindres détails, le pédalier est utilisé sans tirasses avec ses propres jeux, des plus graves (32 pieds) au plus aigus (2 pieds). Par ces musiques ainsi interprétées, on appréhende encore plus les diverses influences musicales dont Bach fut l'objet, depuis les grandes polyphonies de la renaissance, jusqu'aux italianismes les plus pressants du XVIIIe siècle.

Ce volume représente une étape de plus dans la quête de Kei Koïto de la connaissance approfondie de l'art du cantor, au moyen d'une étude musicologique très savante, d'une recherche des gestes des musiciens d'autrefois, d'un abandon des habitudes prises au cours des siècles s'écartant, hélas, des réelles pratiques instrumentales contemporaines à Bach, et enfin d'une offrande à l'auditeur de notre temps. « Retour à Bach », comme le précise le titre même de l'album, par une inspiration basée sur la vocalité et le coup d'archet.

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