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Espace réel et virtuel dans Qui a peur du loup ?

Qui a peur du loup ? est un spectacle musical pour tous les publics, un conte initiatique tout en finesse réalisé à quatre mains, qui interpelle et laisse à chacun, petit ou grand, l'espace de son propre questionnement.

Parents et enfants sont venus nombreux ce soir dans la petite salle du Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines. Créé en août dernier à la Maison Maria Casarès, Qui a peur du loup ? est un projet scénique qui lie étroitement la musique d' et l'écriture scénique de , à travers une adaptation de la pièce de théâtre de Christophe Pellet. L'histoire, située quelque part en Europe de l'Est, après la guerre, met en scène deux enfants de huit ans, abandonnés par leurs parents. Le père, qui fait une courte apparition sur la scène, un énorme fusil dans les mains, a d'autres chats à fouetter, tandis que la mère, Myra, que l'on ne verra pas, est partie en France pour gagner un peu d'argent. Dimitri vit seul avec Skate, sa planche à qui il parle comme à sa confidente, et rêve de traverser la forêt pour rejoindre les siens. Une amie de la famille vient lui apporter à manger chaque soir. Flora, abandonnée, semble-t-il, elle aussi, a sa trottinette et surtout ses crayons ; elle dessine des animaux et transforme ses camarades pour les rendre « plus beaux ». Lui prend alors l'idée de grimer le visage de Dimitri en renard ; mais c'est en loup qu'elle décide finalement de le transformer, pour qu'il puisse assouvir son désir et gagner sa liberté ; quant à Flora, elle va pouvoir « grandir »…

C'est le sixième ouvrage scénique du prolifique , dont on avait beaucoup apprécié Chantier Woyzeck en 2014 sur le plateau de Vitry-sur-Seine. Fidèle à ses choix, Dumont convoque un ensemble de sept musiciens, avec serpent, accordéon et guitare électrique (les musiciens d'Ars Nova dirigé par Michaël Lavoie) ainsi que l'électronique (technique ). Mais la partie instrumentale est ici pré-enregistrée et donnée à entendre sous casque, en mode binaurale (écoute en 3D). Un lien persiste néanmoins entre le jeu scénique et le geste musical live grâce à la présence de l'altiste , qui se tient à jardin puis chemine sur le plateau avec les quatre autres personnages, deux comédiens et deux chanteurs. Le public est installé de part et d'autre du décor, une structure de bois légère imaginée par le metteur en scène , évoquant l'échafaudage d'une maison en construction ou en réparation, que les deux « enfants » peuvent contourner en skate et en trottinette.

Confié à la soprano , le rôle de Flora est chanté, dans un respect scrupuleux de la prosodie et une ligne mélodique légère que la chanteuse assume avec une fraicheur confondante. Celui de Dimitri – féline , comédienne et chanteuse – louvoie davantage entre voix parlée et chansons plus pêchues, accompagnées à la guitare électrique. L'agilité avec laquelle il/elle saute sur son skate, bondit sur le canapé et enjambe les structures du décor, avant d'endosser sa fourrure, est un ravissement. Moins sollicités, les deux comédiens, Philippe Canales (le père) et Johanna Silberstein (l'amie de la famille) ne déméritent pas sur un plateau où entretient habilement la fluidité du mouvement scénique et tire profit d'une scénographie somme toute très économe.

L'écriture instrumentale aussi plastique que ciselée d', avec ses griffures nerveuses, ses stases lentes, ses allures cinétiques et ses moments d'équilibre fragile, traverse la dramaturgie et colle au plus près du mouvement scénique. Elle peut se faire sensuelle et caressante, telle cette figure récurrente de la guitare électrique si suggestive. Souvent la musique dessine le paysage et embrasse l'espace du rêve, dans un rapport très fin entre les ressorts du timbre et la temporalité de l'action. L'électronique amène la troisième dimension, plaçant l'auditeur, et quelle que soit sa place, au centre du paysage sonore. On s'interroge toutefois sur la pertinence de l'écoute au casque (souci d'efficacité ou défi technique ?), si convaincante dans une situation acousmatique, où l'on voit en fermant les yeux, mais plus discutable lorsqu'elle est associée à l'espace théâtral où la connivence-vibration avec le plateau s'en trouve modifiée.

L'expérience est à revivre au Centquatre de Paris en juin prochain, durant le festival Manifeste où l'intégralité du projet sera donnée lors de la même soirée, à savoir le diptyque Qui a peur du loup? /Macbeth, conçu dans un décor unique et articulé par l'écriture musicale.

Crédit photographique : © Christophe Raynaud de Lage

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