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Un monde de l’orgue vu par l’ethnologue Marie Baltazar

C'est une première ! Dans l'abondante littérature consacrée à l'orgue, cet ouvrage apporte une approche inédite réalisée par l'ethnologue Marie Baltazar afin de pénétrer et d'essayer de mieux comprendre le monde de l'orgue et des organistes.

Durant une longue préparation, Marie Baltazar a enquêté auprès des acteurs d'un microcosme bien particulier, celui des orgues et des gens qui les font vivre… Son terrain de jeu fut Toulouse, capitale incontestée de l'instrument à tuyaux. Pour le profane ou le spécialiste, ce reportage éclaire et conforte, depuis l'éveil même de jeunes apprentis jusqu'à leur épanouissement. Les portes des tribunes s'ouvrent et quelques paravents tombent. Le décor est bien visible cette fois, on avance peu à peu dans la compréhension des choses au travers des témoignages, à la fois d'organistes confirmés qui racontent leur parcours, et d'autres plus modestes qui font part de leurs doutes, cette difficulté à percer des mystères qui se révèlent cependant peu à peu au fil du temps. Des avis de professeurs, précieux et qui parfois tournent le dos à des idées reçues, sur le toucher, la gestion de l'air, révélent ainsi encore plus quelques secrets bien cachés.

Plus précisément, cet ouvrage, construit comme pour un travail de thèse, nous offre une montée en puissance depuis les premiers éveils de l'enfant, puis de l'adolescent envers un monstre d'abord silencieux capable ensuite de déclencher des foudres sonores sans que rien ne bouge au niveau visuel… mystère de l'instrument-orchestre où l'interprète est caché et fruit de l'interdit aussi qui ne demande qu'à être transgressé. Tout au long des chapitres on assiste au cheminement de l'apprenti dans l'assimilation de toutes les composantes : toucher, registrations, magie du souffle… Tout ceci se lit agréablement. L'auteure n'étant pas organiste elle-même, elle découvre avec cet ouvrage et emmène les lecteurs dans ces labyrinthes complexes, jusqu'à employer quelques termes profanes, pas toujours sortis du vocabulaire spécialisé des gens de l'orgue. Tout une série de sujets sont abordés, ce qui est un attrait non négligeable de ce livre.

Du bruit à la musique, c'est bien de cela qu'il s'agit, mais un bruit qui veut dire finalement un matériau de base, outil qui va servir par petites touches à élaborer un discours qui deviendra musique. C'est là une des magies de l'orgue : comment une telle machine inerte faite de bouts de bois, de plomb et autres morceaux de peau, peut-elle devenir un objet animé capable d'émouvoir exécutant et public ? L'orgue a en lui le sacré, qu'il porte depuis des siècles, aidé qu'il le fut par sa situation même dans les églises, haut perché sur sa tribune, intercédant entre ciel et terre.

L'étude parle bien sûr beaucoup des organistes, angle d'attaque primordial de l'ethnologue, pour nous en décrire toutes sortes dont le fameux organoïde, une espèce de musicien frustré qui se défoule aux claviers et tient des propos souvent à la limite du pathologique. Tout le monde dans le milieu en connait et les descriptions sont fréquentes. Pour autant les personnalités et les préférences de chacun se révèlent au travers des courants esthétiques, des époques et des écoles, et le discours de certains professeurs, scrupuleusement recueilli, est source de découvertes passionnantes.

En conclusion et au-delà de la fascination de la machine-orgue, c'est bien la musique qui préoccupe encore plus et comme le dit , organiste à Auch : « Je pars du principe que ce qui m'intéresse finalement, ce n'est pas l'orgue en soi », ou dit autrement : « Quelle musique vais-je faire avec un toucher qui offre une gamme d'expression du pianissimo au forte sur un même jeu ? De quelle manière va-t-on toucher l'instrument, pour obtenir cette palette infinie de nuances et de dynamiques ? » Là, réside une autre magie de l'orgue, plus passionnante encore sans doute.

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