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Deuxième livre de pièces de viole de Marais par l’Achéron

et l'Achéron proposent un album de cinq disques englobant les pièces de viole du Deuxième livre de . La parution s'inscrit dans le cadre du projet visant à restituer la totalité des pièces de viole élaborées par le violiste de la Musique de la chambre du Roi, et dont le premier volet est paru en 2017.

Dire que le legs « viole de gambe » de est de dimensions gargantuesques est trop peu : c'est l'alpha et l'oméga de toute création pour cet instrument particulier. Si le Premier livre (de 1686) apporte un changement considérable dans le répertoire de l'instrument, notamment avec l'addition d'une partie de basse continue, la nouveauté du Deuxième livre (1701) réside dans la présence d'attributs qui désignent l'identité des pièces : Sarabande La Désolée, Gigue La Badine, Allemande La Mignonne, Les Voix humaines etc. Marais y rend hommage à ses deux maîtres, Jean-Baptiste Lully et Jean de Sainte-Colombe, célébrés par deux Tombeaux, et propose les Couplets de folies, l'une des partitions les plus connues sorties de sa plume.

Dans le Deuxième livre, Marais scrute l'ambitus de la viole, jouant plus aigu (Prélude 83). Le son général de la viole et de la basse continue est plus ample (Gavotte 106) et moins ramassé que dans le Premier livre. Les tonalités abordées sont en grande partie majeures (contrairement au Premier livre), apportant une couleur généralement plus brillante. Elles sont également parfois plus audacieuses (suites en mi mineur, mi majeur et si mineur) que dans le Premier livre et généralement dans le répertoire pour viole de l'époque.

On se pose la question de savoir pourquoi a attendu quinze ans avant de façonner ce Deuxième livre. Bien que la question reste sans réponse, on peut supposer que Marais voulut de cette manière renforcer sa position face aux jeunes concurrents, notamment Antoine Forqueray. Si les œuvres de ce dernier puisent leur substance sonore dans la vitalité et la virtuosité perceptible chez les compositeurs italiens, celles de Marais sont introverties et reflètent l'élégance et la courtoisie de la vie quotidienne du château de Versailles.

Le Deuxième livre de pièces de viole de Marais est plus volumineux que le premier. De 93 pièces, il passe à 142. L'agencement est comparable à celui du premier : les morceaux sont classés par tonalité, ce qui permet aux interprètes de constituer les « suites » à leur gré. Si, pour quelques tonalités (si mineur, mi mineur et mi majeur), les pièces constituent des suites complètes, celles en ré mineur, ré majeur, sol majeur et la majeur possèdent plusieurs pièces de même type et donc ont été réparties ici en plusieurs suites.

Dans l'avant-propos à ce Deuxième livre, Marin Marais explique l'importance de la basse continue qui apporte selon lui « un chant le plus gracieux », en renonçant à l'élaboration de pièces à deux violes, présentes du Premier livre. Pour cette basse continue, il ne mentionne pas d'instrumentation, en se cantonnant à indiquer que l'on peut jouer ces pièces avec d'autres instruments, comme la flûte allemande et le violon. Il ne dit rien non plus sur l'ornementation, en conseillant – pour les instruments harmonisateurs – de faire chanter la réalisation en imitation du dessus (dans ce cas, la basse de viole soliste) quand il y a un vide dans la basse chiffrée. En ce qui concerne l'ornementation de la partie de dessus (viole soliste), Marais présente dans sa préface des signes pour noter de nouveaux agréments dans sa musique. Comme François Couperin, il aime à marquer le plus de choses possible dans la partie de dessus.

Sur le plan de l'interprétation, et l'Achéron prêtent attention à l'ampleur des phrasés et à la pureté de la ligne mélodique. On y admire aussi bien la noblesse et la modération des ornements dans la partie de la basse de viole solo que la luminosité et la délicatesse de la basse continue. Les musiciens respirent ensemble et envoûtent par le raffinement des couleurs que par le soin du détail. Parfaits du point de vue de la maîtrise technique, ils saisissent, en plus, par la légèreté et la précision des attaques, perceptibles par exemple dans les Couplets de folies, impressionnants de virtuosité.

Notre seule réserve concerne l'utilisation de la harpe dans la basse continue. La harpe évoque surtout l'Italie, tandis que Marais chérissait principalement le théorbe qu'il jouait lui-même et qui est l'instrument par excellence pour accompagner la viole. On notera que l'on préférait le théorbe à la harpe (et à l'archiluth) en France car sa tessiture grave fait qu'il « ne passe jamais au-dessus des voix » comme il est dit dans l'un des traités de l'époque. C'est d'ailleurs ce qui devrait faire la beauté d'un continuo de Marais et lui assurer l'intimité et sa profondeur inimitable. Pour Marais, la formation « idéale » pour accompagner ses pièces était donc une basse de viole et un théorbe (éventuellement un clavecin), en toute simplicité ! Pour retrouver cet instrumentarium, on reviendra au disque signé La Rêveuse (Clef ResMusica).

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