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Programme éclectique pour Kirill Petrenko et les Berliner Philharmoniker

Trois semaines après la Tragique de Mahler, présente avec les Berliner Philharmoniker son programme le plus éclectique de la saison, constitué de trois ouvrages composés au milieu du siècle dernier.


Lors de sa première saison avec les Berliner Philharmoniker, les choix de répertoire du nouveau directeur musical ont surpris par leur classicisme, où les inévitables ouvrages de Beethoven et Mahler n'étaient contrebalancés que par une Symphonie Asraël de Suk, un nouvel an aux pièces variées et un programme de compositions médianes du XXᵉ siècle.

Ce même XXᵉ siècle que interprète aujourd'hui, à quatre reprises à la Philharmonie de Berlin, avant une courte tournée allemande, de l'Elbphilharmonie voisine à celle de Cologne. Pour autant, aucune des œuvres proposées ne constitue une nouveauté pour l'orchestre puisque la plus audacieuse, Alagoana de , y est apparue dès 1975 sous la baguette de Hans Zender, reprise depuis en 2009 par Heinz Holliger. La Symphonie en trois mouvements de Stravinsky s'y est révélée en 1957 avec Hans Rosbaud, reprise pour la dernière fois par Simon Rattle en 2007, quand les Danses Symphoniques de Rachmaninov n'ont été découvertes par la formation que grâce à ce même chef anglais, en 2010 seulement, reprises en 2014.

retrouve donc avec Stravinsky le compositeur qu'il avait programmé dès 2012 avec les Berliner, alors avec sa Symphonie de Psaumes, cette fois avec celle en trois mouvements, évitant toujours au passage de s'atteler aux grands ballets. La densité des cordes dès l'Ouverture démontre, comme pour la Sixième de Mahler vingt jours plus tôt, l'impeccable préparation des musiciens, dont le son s'expose déjà plus compact que sous leur ancien directeur musical. Face à une maîtrise d'orchestre aussi implacable, la gestion des rythmes ne pose aucun problème, cependant qu'aucune typicité interprétative ne ressort, ni par la recherche d'ironie ou de clinquant d'un premier mouvement tiré de musiques de film, ni dans un Andante Interlude qui ne trouve jamais de véritable cantabile malgré la qualité des bois et des pizzicati, puis de la harpe de Marie-Pierre Langlamet Le dernier mouvement, Con Moto, passe autant à côté de la couleur que de la dérision, pour ne servir que de mise en avant à la magnifique machine orchestrale et à son impeccable premier trombone.

Encore moins circonstanciée, l'une des premières œuvres de , Alagoana. Caprichos Brasileiros, ne cherche, sous la sonorité très dense de Petrenko, encore plus compact que la symphonie, qu'à décupler les forces vives de l'orchestre. Le premier mouvement ferait presque penser au traitement à apposer à une œuvre de John Adams, sans la ferveur qu'y aurait trouvé l'ancien directeur muscial de la formation. Des sonorités orientalistes dans la filiation de Maurice Ravel et Darius Milhaud, cet ouvrage composé à partir de 1950 à la suite du séjour en France du jeune compositeur, maintient ici juste les lignes larges des premiers violons à l'Ouverture, ainsi qu'une parfaite gestion de la polyrythmie post-stravinskienne, sans trouver ni angulosité, ni coloris particuliers.

Dernière œuvre du programme et dernière des trois à être entrée au répertoire de l'orchestre, les Danses Symphoniques opus 45 de Rachmaninov retrouvent avec Kirill Petrenko les effets et l'absence de sentimentalité de sa prestation de Munich en 2016. Là encore, la compacité des cordes impressionne, mais comme dans l'enregistrement Rattle avec l'orchestre et comme auparavant pour Petrenko, les roulis de timbales relèvent bien plus d'une démonstration que d'une véritable lecture. Le superbe solo de saxophone ensuite ne marque pas plus que ceux de la clarinette basse, ou les interventions du tuba dans l'Allegro vivace de la dernière danse, tout comme une vérification dans la partition juste après le concert nous assure que l'énorme silence au milieu de l'Andante con moto n'est qu'un effet du chef.

On sait depuis sa trilogie Pouchkine-Tchaïkovski lyonnaise, et plus encore avec la récente interprétation de la Pathétique, que le jeu de Kirill Petrenko ne possède aucune tradition russe, mais on aurait aussi pu trouver pour cette partition américaine, créée en pleine guerre par Eugene Ormandy, un apport émotif ou une nostalgie, là où l'on s'arrête à une lecture à la phrase , sans passion. Au moins, la cohésion entre le chef et l'orchestre semble totale.

Crédits photographiques : © Stephan Rabold

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