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La voix humaine d’Allan Pettersson

L'album Vox Humana par l'ensemble vocal suédois SYD captera l'attention des amateurs de chant, bien au-delà du cercle des admirateurs de l'art symphonique d'.

On pensait que CPO, premier label à avoir publié l'intégralité des œuvres orchestrales achevées d', avait mis un terme à son travail de défense du grand compositeur, et laissait désormais le champ libre à BIS pour son intégrale en cours dirigée Christian Lindberg (Clef ResMusica). Mais, enfin, la Suède défend son compositeur national comme jamais, de Stockholm à Malmö (pour cet enregistrement) en passant par Norrköping (avec Lindberg).

Commençons par le cycle de jeunesse des Six mélodies (Sånger) écrites en 1935 à l'âge de 24 ans, et qui forment la première composition significative de Pettersson. Certains commentateurs traduisent ces Sånger en Lieder mais ces mélodies n'ont rien de germanique. Elle s'inscrivent dans la tradition scandinave et dans celle de l'impressionnisme français, avec une gravité et une douceur d'expression qui sont inversement proportionnelles à la violence sociale subie par ce compositeur, dont la passion précoce pour le violon et la musique suscitait incompréhension et hostilité dans le milieu ouvrier où il grandit. Pettersson racontera plus tard comment il composa ces mélodies la nuit dans une église, avant que le pasteur, également député du parti social-démocrate, le mette à la porte au motif que les voisins se plaignaient de la lumière dans la pièce (sic !) où il travaillait au piano. Pettersson se retrouva alors sans accès à un instrument et cela brisa son élan pour la composition de mélodies. Ces Six mélodies ont été arrangées pour orchestre à cordes et harpe en 2016 par le compositeur Staffan Storm, et cela sonne magnifiquement, apportant une délicatesse qui se marie à la voix chaude du baryton . Incorporer la harpe, instrument au raffinement aristocratique mais aux origines ancestrales et populaires est une idée lumineuse. Pour ne prendre qu'un exemple de la maturité et l'expressivité du musicien, on écoutera Resignation, au balancement doux comme celui d'un berceau pour – paradoxalement – exprimer un pessimisme absolu. Pour comparer avec la version originale pour piano, on évitera Monica Groop qui manque de chaleur (CPO) pour préférer Torsten Mossberg (Stirling). Mais les sortilèges de l'orchestration et le timbre caressant et frémissant de vous feront revenir à cet enregistrement.

Vox Humana est une pièce de haute maturité, une « cantate » écrite en 1974 juste après la Symphonie n° 12 avec chœurs, à l'occasion du 500ᵉ anniversaire de l'Université d'Uppsala. Le propos en est ouvertement social, et en cela est fidèle aux thèmes chers à Pettersson, l'opprimé, le faible, qui peut être tour à tour bourreau et victime. Tous les poèmes, du XXᵉ siècle ou plus anciens, sont sud-américains et traitent – parfois en termes durs de la condition humaine, la faim, le racisme jusqu'au lynchage, l'ivresse, la mort dérisoire, la vengeance (on y boit dans le crâne d'un traître !). Sur ces textes bruts dont le dernier – le plus développé – est du poète chilien Pablo Neruda, Pettersson tisse une musique où la complexité et la finesse n'excluent pas un lyrisme sous-jacent. On peut multiplier les écoutes sans se lasser, tant on se perd et tant on est retenu à la fois par les changements constants de climats et de rythmes. L' et les solistes dirigés par Daniel Hansson rivalisent d'inspiration et de douceur, pour faire ressortir le message de compassion pour cette malheureuse humanité, sans apitoiement. Par leur engagement, où l'aérien se mêle à l'émotion, leur enregistrement surclasse aisément la valeureuse captation des créateurs de l'œuvre, l' dirigé par Stig Westerberg (BIS).

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