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La harpe de Boris Tishchenko par une nouvelle génération de musiciens

C'est au Conservatoire à rayonnement régional de Paris que de jeunes musiciens venus des ex-républiques soviétiques se sont réunis pour défendre la musique pour harpe de Boris Tishchenko. Retour à l'âme de Saint-Pétersbourg. 

Né en 1939 à Leningrad,  se sentait absolument lié à cette ville unique en Russie par son histoire, de sa fondation absolutiste par Pierre Le Grand, porte vers l'Occident, plus tard verrou martyre mais victorieux contre l'envahisseur nazi. Ecouter la musique de Tishchenko est nécessairement une plongée dans l'âme de cette ville, belle, immense, rude, poste avancé d'espaces quasi-infinis. La particularité de cet album est qu'il est une rencontre entre deux univers quasi-étrangers l'un à l'autre mais qui éprouvent néanmoins une fascination réciproque et multiséculaire, Paris et Saint-Pétersbourg. On y entend une équipe de jeunes musiciens venus de Russie, Biélorussie et Kazakhstan, qui se forment maintenant à Paris et ont pu bénéficier pour ce projet du soutien du conservatoire de la rue de Madrid.

L'ancienne capitale russe venait à peine de retrouver son nom historique quand la harpiste y est née, en 1992. Son enregistrement du Concerto pour harpe semble être le premier depuis celui de la création en 1979 avec Irina Donskaya et Èduard Serov à la direction. Donskaya était à la fois l'épouse de , la dédicataire de la partition (le compositeur l'écrivit pour leur mariage) et la professeure de . Le concerto est une pièce d'une quarantaine de minutes qui compte parmi les meilleures introductions à la musique de Tishchenko par son alliance de mystère insondable et de jaillissement de lyrisme. C'est une musique qui s'inscrit dans le temps et dans l'espace : l'auditeur pressé ne pourra s'inscrire dans cet univers où il est nécessaire de se replacer dans le contexte géographique de Saint-Pétersbourg, aux confins de l'Europe, entre eau et terres immenses. Pour bien apprécier la prestation de la jeune Marinutsa, il faut absolument la comparer avec celle de sa professeure (Nothern Flowers, les deux versions sont disponibles sur YouTube et les plateformes de streaming). En 1979 à Leningrad, le ton est dur, austère, revendicatif, un défi au régime qui entendait imposer sa vision de l'art aux créateurs. Quarante ans plus tard à Paris, c'est au contraire la volonté de relier, de rendre accessible, d'adoucir les angles sans perdre la couleur, qui prime chez la musicienne comme chez le jeune chef  et son ensemble l', dont il s'agit de la première publication. Les deux visions sont également évocatrices s'inscrivant dans des contextes si différents, qu'on ne saurait les départager artistiquement.

En ouverture d'album, la soprano frappe par le timbre chargé d'émotion dans deux mélodies pour harpe et flûte (A mon frère op. 98) et harpe et orgue (Testament op. 96), qui raviront les amateurs de chant russe. A mon frère, écrit par Tichtchenko pour son frère disparu prématurément, commence par une mélodie à la flûte (belle sensibilité d'Artem Naumenko) et le chant a la simplicité d'une chanson populaire, avant que la douleur s'exprime par des ruptures et des aigus tendus. Testament est un autre petit bijou entre chant populaire et mélodie savante, plus expansif où le regret de quitter ce monde est adouci par la conviction optimiste que les nouvelles générations apporteront de nouvelles beautés et un nouveau monde. Repérée favorablement l'an dernier dans un récital Strauss à la Salle Cortot et dernièrement à Tourcoing dans L'Etoile de Chabrier chante ici dans son arbre généalogique.

Un compositeur n'existe pas sans des interprètes pour défendre sa musique hic et nunc. A l'évidence, une jeune génération est en train de sortir des écoles pour s'emparer de l'œuvre de Tishchenko et prendre la relève des « historiques » avec sa perspective d'aujourd'hui. Prometteur !

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