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Soirée au féminin avec les Pincées musicales de Florentino Calvo

MG21, c'est l'ensemble de mandolines et guitares (la contrebasse en sus) basé à Argenteuil qu'a fondé et que dirige le mandoliniste dans le cadre des Pincées musicales. MG21 s'est constitué un riche répertoire qu'il entend bien élargir en sollicitant les créateurs-trices d'aujourd'hui : en témoigne ce concert-événement, fruit de deux ans de gestation, à l'affiche de l'Atrium d'Argenteuil.

Le projet « 7 femmes et + » est aussi ambitieux qu'unique dans le domaine de la création sonore : a commandé à huit compositrices une pièce de six minutes sur un texte d'une poétesse qu'elles avaient à choisir parmi les plumes réunies par Lydie Salvayre dans son livre « 7 femmes », celle de l'écrivaine en sus. En contrepoint à la musique, les toiles de Caroline Coppey sont projetées en fond de salle et déclinent à l'infini leurs variations de formes et de couleurs dans une correspondance bien sentie avec la musique de chaque compositrice.

« 7 femmes, 7 allumées, 7 folles, 7 insensées… C'est ainsi que Lydie Salvayre, récitante durant le concert, nous présente ses héroïnes entre chaque création sonore, en s'attachant à leur personnalité, singulière et exigeante, à leur force de caractère, dans une société souvent hostile, autant qu'à leur destinée tragique : Emily Brontë, Djuna Barnes, Sylvia Plath, Colette, Marina Tsvetaeva, Virginia Woolf, … et Lydie Salvayre constituent la galerie de portraits déclinés par nos huit compositrices.

Sur le poème Remembrance d'Emily Brontë, compose une sorte de lamento, descente implacable dans les ténèbres (on pense à la Didon de Purcell). La mezzo-soprano allemande scande les mots de la poétesse sur le mouvement circulaire des cordes pincées apportant leur frêle résonance ; les silences sont éloquents et le matériau épars, accusant le sentiment de la perte et du deuil. Plus lyrique, la voix de la soprano Paula Lizana se déploie au-dessus des instruments dans The Dreamer (Djuna Barnes) de Laure Escudier, une pièce jouant sur le mouvement de flux et de reflux qui porte la tension dramatique jusqu'à la déchirure. L'ensemble instrumental opère parfois de subtils fondus-enchaînés avec la voix de Lydie Salvayre ; en amorçant par exemple le prélude instrumental de Among the trees (Mary Olivier) de la Polonaise Nikolet Burzynska sous les mots de la récitante : la voix de soprano qui est sollicitée se désolidarise progressivement de la scansion instrumentale obsédante pour décrire dans l'espace une trajectoire vocalisante un rien éperdue. « Colette est la vie même », nous dit Lydie Salvayre, « elle mange comme un ogre, jardine… elle a faim de tout ». Son ton provocateur et son anticonformisme nous libèrent pour un temps de la désespérance de ses consœurs.


Les cerises
de mettent en scène « ce vivace et ce bel aujourd'hui » de l'écrivaine, en confiant le texte aux deux chanteuses : refrains joyeux des cordes pincées, percussion sur la caisse des instruments, humour et enfantillages des voix qui dialoguent dans un contexte très pulsé et soumis aux aléas de fins mécanismes qui menacent de se dérégler. Les voix, celles des instrumentistes tissant la dramaturgie, sont chuchotées dans Je suis Marina T (Marina Tsvetaeva) qui inspire à Ivane Béatrice Bellocq une musique tout en contrastes, entre tension (Pizz Bartók des guitares, claquement du fouet dans les mains du chef) et filtrage du matériau, pour terminer la pièce de manière très suspensive. Le titre emprunté à Virginia Woolf, Comme un nuage sur les vagues… croise la thématique de l'eau et de la mer chère à Édith Canat de Chizy. Le courant passe entre les pupitres et une énergie vibratoire nait sous les plectres des mandolines. Les glissandi ascendants des guitares et les contrepoints de lignes génèrent des textures mouvantes rejoignant l'idée de « joie divine et de jaillissement » dont nous parle Lydie Salvayre au sujet de la poétesse anglaise ; même si l'obsession d'un rythme iambique (brève-longue) frappé sur la caisse des guitares confère à la trajectoire sa dimension tragique. On retrouve la voix de dans Certains aiment la poésie, un texte de la Polonaise Wislawa Szymborska mis en musique par la compositrice franco-polonaise Joanna Bruzdowicz. La ligne de chant expressive, voire sensuelle, s'inscrit sur une partie instrumentale colorée et vibrante qui suit de près la trajectoire vocale aussi courte que concentrée. Si les conditions acoustiques quelque peu difficiles de l'Atrium, malgré l'amplification de l'ensemble, n'ont guère mis en valeur la contrebasse dans les pièces précédentes, elle est centrale dans L'Homme qui marche de , exposant en pizzicato le thème conducteur que la compositrice fait revenir sous des habillages et contextes sonores différents : une paraphrase musicale du texte de Lydie Salvayre, « Marcher jusqu'au soir », qui boucle ce voyage immersif au cœur de la création.

Réactif et superbement préparé, l'ensemble instrumental MG21 relève le défi avec panache, galvanisé par son chef dont la concentration et la qualité de direction sidèrent.

Une exposition des toiles de Caroline Coppey est à voir à l'Atelier | Jardin de l'Abbaye d'Argenteuil durant le week-end et jusqu'au 22 mars, tandis que le spectacle Sept femmes et + , débutant sa tournée, sera repris le 20 mars prochain à Paris, à La Halle Pajol.

Crédits photographiques : ©  Photo Film Argenteuillais

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