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César Franck par Nikolai Lugansky, entre ombre et lumière

Pour son nouveau disque, Nikolai Lugansky se montre un excellent interprète de la musique de .

Les œuvres présentées ici ont été composées entre 1860 et 1890. Entre 1860 et 1862, Franck élabore le Prélude, fugue et variation pour piano et harmonium comme une pièce d'étude pour ses élèves Louise et Geneviève Deslignières, mais il décide ensuite de transformer ce triptyque en une pièce d'orgue, publiée en 1868 parmi les Six pièces d'orgue, dédiée à Camille Saint-Saëns. N'ayant quasiment rien façonné pour piano seul depuis les années 1840, ce n'est qu'en 1884 que Franck entreprend la composition du Prélude, choral et fugue. Puis, dans les années 1886-1887, il écrit le Prélude, aria et final, et en 1890, quelques mois avant sa mort, il travaille sur les Trois chorals. Dans toutes ces pages, il oscille entre la tradition représentée par Johann Sebastian Bach et la recherche de nouveaux moyens d'expression, dans lesquels il se rapproche de Beethoven ou de Liszt. Mais surtout, il demeure un artiste conscient de ses possibilités et de son indépendance créative, nous léguant, comme le remarque Vincent d'Indy, « une œuvre toute personnelle où rien, cependant, dans la construction, n'est laissé au hasard ni à l'improvisation, mais dans laquelle tous les matériaux, au contraire, sans en excepter aucun, servent à la beauté et à la solidité du monument ».

La musique de est très exigeante pour l'interprète car son exécution nécessite non seulement l'engagement intellectuel permettant d'éclairer son architecture complexe, mais elle requiert également une palette de nuances suffisamment variée et riche pour satisfaire l'oreille raffinée des mélomanes les plus avertis. Nikolai Lugansky possède de telles qualités en même temps qu'il en maîtrise le parfait usage. Sous ses doigts, le Prélude, choral et fugue devient un fascinant voyage entre l'ombre et la lumière, entre la méditation et le brio, entre poésie et engagement. Le pianiste nous plonge dans un monde intime et mystique à la fois. Il séduit et galvanise, comme dans le climax du Prélude – bouleversant de virtuosité – précédant le Choral dont les accords arpégés, aussi solennels que contemplatifs, témoignent de sa sensibilité rare. Attentif à la netteté de l'articulation et à la transparence des textures, il ne manque pas de subjuguer par des changements brusques du tempo et de la dynamique, comme nous le montrent l'accelerando et le crescendo agités clôturant la Fugue, émergeant de manière inattendue, dans un moment dominé par un calme majestueux.

Dans l'ensemble, la lecture proposée par Lugansky bénéficie amplement de la finesse de son toucher, ainsi que de son sens du legato, perceptible même dans les passages soumis à un tempo très lent, comme dans l'Aria. Dans les deux transcriptions, dont l'une a été préparée par l'interprète lui-même, il met en valeur la douceur de ces musiques, sans nous faire oublier leur profondeur, leur élan et leur caractère tantôt méditatif, tantôt mouvementé.

Voici un disque qui ne laisse pas indifférent et marque clairement la discographie.

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