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Frec d’Hèctor Parra : la friction et l’étincelle

Ils se sont rencontrés autour d'un piano. Le compositeur et pianiste et le pianiste et improvisateur , l'un catalan, l'autre majorquin, ont de toute évidence des affinités sonores et un appétit commun pour l'exploration et le geste transgressif. L'écrit et le non écrit se croisent et interfèrent dans Frec (friction) où le piano est « travaillé au corps ». 

« Je ne voulais pas lui imposer mes idées mais essayer de me nourrir de son jeu et de ses figures pianistiques », explique qui réalise une partition graphique de vingt-cinq pages dont il donne à voir un extrait dans la pochette du CD : les différentes couleurs (rappelons que le compositeur manie aussi le pinceau) signalent autant de composantes sonores (durées, dynamiques, morphologies, etc…) qui s'imbriquent et s'articulent pour dessiner une trajectoire, tandis que les annotations au crayon de papier affinent l'idée musicale et cernent au plus près le jeu de l'interprète (rôle de la pédale, techniques spécifiques, etc…). Parra écrit le timbre ; Fernández lui donne corps à travers une série d'actions sonores dont l'enregistrement ne nous laisse qu'imaginer et l'envergure et la virtuosité.

Car le piano est scruté par dans ses moindres recoins, sur le clavier autant que dans les cordes, lieu de toutes les investigations/mutations sonores : piano-percussion très énergétique dans tout l'espace de résonance, dont les manifestations vocales de l'interprète décuplent la frénésie ; le piano-guiro donne à entendre une matière bruitée et granuleuse, un rien boisée, dans une première partie (il y en a quatre) qui a débuté par la friction d'un wood-block dans les mains du pianiste. Le piano-résonance, sur le clavier cette fois, génère une séquence des plus prodigieuse (Partie II) où la répétition fougueuse des accords et les techniques de morphing réalisées en live génèrent des phénomènes acoustiques paradoxaux. La voix accompagne plus d'une fois le jeu de l'improvisateur, rajoutant du souffle, des harmoniques et de la raucité au matériau souvent traité dans l'excès du geste. Très étrange et délicat est ce piano-zheng (la cithare chinoise), joué dans une zone de fréquences aigües et détempérées (Partie III) où les sons glissés et autres figures aussi flexibles que fragiles naissent sous les doigts du rhapsode. Le geste peut atteindre une violence insoupçonnée (explosions de la Partie IV), porté par un processus d'amplification et de complexification des figures (cadence n°2) qui semble requérir les forces de quatre, voire six mains ! La dernière section n'est pas sans surprise : les allers-retours musclés et furibards sur les cordes du piano sont progressivement relayés par la friction du wood-block imitant le doux chant du moineau ; ainsi nos deux baroudeurs mettent-ils fin à cette aventure de tous les possibles.

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