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Loreto Aramendi sur des orgues baroques espagnols

Déjà remarquée lors d'un précédent album, Loreto Aramendi propose un large programme de musique ancienne européenne sur deux orgues baroques espagnols. De quoi repenser quelques idées reçues sur la spécificité des orgues et de leurs répertoires.

En 2017, la jeune organiste basque Loreto Aramendi proposait à Saint-Ouen de Rouen un album consacré à des transcriptions romantiques. Le même éditeur Hydre propose cette fois-ci un voyage musical en terres ibériques depuis la Castille jusqu'aux iles Baléares. Une nouvelle fois c'est Denis Lacorre, facteur d'orgue réputé qui s'est chargé de la prise de son de deux orgues particulièrement hauts en couleurs. Au delà des compétences techniques en matière de matériel d'enregistrement, l'écoute, l'oreille même de l'ingénieur du son est fondamentale. Souvent un artiste familier de ce monde sonore si particulier apporte une approche passionnante. Les orgues espagnols sont réputés pour leurs sonorités tranchantes, colorées à l'extrême, pouvant également être d'une douceur incomparable. Le jeu des ombres et des lumières propre à l'art ibérique, devient une évidence.

Loreto Aramendi nous fait entendre tout d'abord l'un des cinq orgues de la cathédrale de Salamanca, ici le plus important de tous, construit en 1744 par Pedro Echevarria, l'un des plus grands facteurs d'orgue de son temps. On connaissait cet instrument par les enregistrements de Francis Chapelet et de E. Power Biggs remontant à la fin des années 60. On retrouve là cet instrument exceptionnel quelques 50 ans plus tard. Depuis, il a bénéficié de plusieurs travaux dont les derniers réalisés par Joaquin Lois en 2006 qui l'ont encore bonifié en supprimant quelques bêtises faites par certains au cours du temps. Ce qui frappe c'est la grande clarté de cet orgue portée par une acoustique précise. Ces orgues sont disposés en général dans le chœur ce qui rassemble assez favorablement leurs sonorités.

Le programme musical peut surprendre car il fait appel à un large répertoire qui réunit un ensemble de compositeurs représentant les diverses écoles d'orgue européennes de la Renaissance au Baroque. Entendre du Buxtehude, du Corrette ou du Purcell sur un tel instrument démontre ses capacités à servir de manière très convaincante des musiques éloignées de l'esthétique ibérique. Il y a quelque chose de rassurant qui montre bien que ces orgues, bien que très typés, s'adressent à de larges courants musicaux. C'est le pari gagné de Loreto Aramendi, excellente musicienne historiquement informée qui sait nous convaincre par un jeu précis et fluide, en harmonie avec les climats des diverses œuvres. Elle nous fait entendre de nombreux mélanges de sonorités savamment dosés. Bien sûr les auteurs espagnols sonnent ici en gloire, avec les chamades hérissant copieusement le buffet multicolore de l'orgue côté Évangile de Salamanca.

Partie jusqu'aux les Baléares, à Majorque dans une petite cité du sud de l'île et au bord de l'eau pour enregistrer un autre géant de la facture majorquine, Loreto Aramendi joue maintenant l'orgue de l'église Saint André de Santanyi qui éblouit d'entrée par un buffet très excentrique voire délirant, rappelant avant l'heure le style de Gaudi. Il fut construit en 1765 par le facteur Jordi Bosch natif de Palma. Construit au départ pour le Couvent royal de San Domingo à Palma, l'orgue fut installé à la paroisse de Santanyi en 1823. On a ici une sonorité générale très différente de l'orgue de Salamanca. Restauré méticuleusement par Gerhard Grenzing en 1985, celui-ci lui a redonné son aspect acoustique original. La particularité de cet instrument réside en la présence d'un grand plein-jeu qui atteint les 25 rangs de mixtures, ce qui est tout à fait exceptionnel. Les musiques choisies, très variées, continuent encore de réjouir l'oreille et mettent en valeur divers timbres caractéristiques, des plus profonds aux plus insolites.

Ces instruments anciens révèlent des ressources insoupçonnées sous les doigts experts de Loreto Aramendi. Les musiques des diverses écoles s'accommodent fort bien du tempérament inégal de ces orgues. l'interprète pousse l'expérience jusqu'à proposer une œuvre de , auteur allemand du XXᵉ siècle, qui lui aussi trouve avantageusement sa place dans ces sonorités « vieille mode » comme aurait dit Félix Raugel, organologue distingué.

Un album à découvrir avec gourmandise et qui, écouté au casque, ne vous laissera pas indemne !

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