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Vers la flamme avec Lydia Jardon

Après les sonates 2, 3, 4 de  enregistrées il y a une dizaine d'années, la pianiste sélectionne pour ce nouvel album les opus 1, 5 et 9 (1906-1949) témoignant de l'évolution stylistique d'un musicien qui n'a jamais quitté son pays.

Professeur de piano au Conservatoire de Moscou et ami de Prokoviev, Miaskovski comme Chostakovitch a subi les foudres des autorités soviétiques et sera lui aussi accusé de « formalisme ».

A côté des vingt-sept symphonies faisant davantage allégeance à l'esthétique du « réalisme soviétique », la musique de chambre (quatuors à cordes et sonates pour piano) révèle une sphère privée où l'expression se libère et l'identité stylistique s'affirme.

Écrite alors que Miaskovski est encore étudiant au Conservatoire de Saint-Pétersbourg (il a 25 ans), la Sonate pour piano n° 1 affiche d'emblée un attachement au contrepoint et un goût pour les belles architectures. L'œuvre débute par une fugue conduite dans les règles de l'art et obéit au principe cyclique faisant revenir le thème (sujet de la fugue) dans les trois autres mouvements. L'expression affanato (angoissé, haletant) de l'Allegro suivant, véritable premier mouvement, regarde vers Scriabine : polyphonie dense, menée dans l'exaltation, chromatisme ardent noyant le ton et trajectoire aux tempi capricieux, sans cesse réactivée par des accelerandos. s'engage corps et âme dans une musique réclamant tout à la fois puissance et fluidité du jeu. S'y ressentent également les influences de Brahms, Franck, voire Schoenberg dans une écriture de haute complexité, tant rythmique qu'harmonique et contrapuntique. On retrouve l'urgence scriabinienne et une manière lisztienne (celle de sa Sonate) dans l'Allegro energico final : voyage intérieur et chemin labyrinthique à l'instar d'une ballade romantique où s'exerce la variation développante, entre virtuosité conquérante et lyrisme éperdu qui ne laissent aucun répit à l'interprète.

On fait un bond dans le temps avec la Sonate pour piano n° 5 écrite en 1944, soit 37 ans plus tard. La polyphonie a gagné en transparence et en luminosité dans l'Allegretto capriccioso dont l'harmonie chromatique fait miroiter les couleurs, l' écriture restant toujours très élaborée et mouvante. Le Largo espressivo, comme celui de la Sonate n° 1, balance entre verticalité et déploiement polyphonique, le voyage introspectif atteignant des seuils de tension expressive. Le Scherzo est joueur, elfique, sous les doigts de l'interprète, quand le Trio réinstaure le contrepoint avec une fugue plutôt sévère. Sous ses allures de thème et variations, le Final l'est aussi, ramenant une rigueur toute beethovénienne et une dimension architecturale impressionnante. La fugue s'impose au mitan du mouvement, dûment conduite par notre interprète qui maintient la tension de l'écoute sans faillir.

La Sonate n° 9 fut écrite en 1949, un an avant la disparition du compositeur. L'écriture est épurée, le temps resserré (14 minutes pour ses trois mouvements) et la rhétorique écartée : c'est une lumière crépusculaire que la pianiste projette avec délicatesse dans le premier mouvement où s'exercent les ressorts de la variation. Fidèle à la forme ternaire très conventionnelle, le mouvement lent vise la simplicité et des couleurs expressives qui naissent sous la conduite d'un contrepoint allégé. Le compositeur renonce à un final digne de ce nom, achevant sa Sonate par une sorte d'impromptu, aussi bref que fulgurant.

Chez , la palette sonore est toujours expressive et le toucher sensible, les aigus lumineux et les graves généreux. Le geste est puissant autant que libre et toujours sous contrôle, qualité essentielle pour parvenir à canaliser les débordements de l'écriture. La pianiste donne à cette musique exaltée qui l'a conquise son élan et son déploiement virtuose, sa fougue romantique et ses couleurs. On attend bien évidemment le troisième CD (6, 7, 8) pour refermer le coffret de l'intégrale.

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