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Avec le sopraniste Samuel Mariño, hommage au concert Haendel-Gluck de 1746

Programme trié sur le volet avec un chanteur plein de dons et de promesses. Espérons que la carrière de sera à la hauteur des espérances que permet cet intéressant CD.

Si la voix de contreténor a réussi à s'imposer dans nos salles d'opéra, et si nos stars du baroque sont parties à l'assaut du Met, de la Scala ou de Covent Garden, la voix de sopraniste masculin reste encore quelque peu problématique. Et pourtant certains des grands castrats du passé avaient une tessiture vocale qui s'apparenterait davantage à la voix de soprano qu'au registre d'alto ou de mezzo qui est, de façon générale, celui de nos grands contreténors. Même Philippe Jaroussky, dont le timbre clair et cristallin peut parfois évoquer certaines couleurs de la voix de soprano, ne se risquerait sans doute pas à aborder la tessiture extrêmement tendue de certaines des pages entendues sur ce CD. De fait, les trois rôles haendéliens représentés sur l'album – Meleagro d'Atalanta, Sigismondo d'Arminio et Alessandro de Berenice – furent créés en 1736 et 1737 par le castrat soprano Gioacchino Conti, dit Giziello, le seul de ses chanteurs masculins pour lesquels Haendel alla jusqu'à écrire un contre-ut. Giziello était censé rivaliser avec Farinelli, employé au même moment par l'Opéra de la Noblesse.

Le résultat est-il probant ? En découvrant la voix du jeune chanteur vénézuélien , l'auditeur sera immédiatement frappé par la stridence du timbre. L'aigreur a priori peu agréable de la voix ne manquera pas, d'ailleurs, de rappeler celle de cet autre contreténor au registre de soprano, le Coréen Vince Yi, lequel enregistra dans son intégralité le rôle de Sigismondo représenté ici par l'air « Quella fiamma » dans lequel la voix dialogue avec le hautbois.

L'écoute prolongée du CD forcera néanmoins l'auditeur à s'incliner devant les innombrables qualités vocales et musicales du jeune artiste : précision et netteté de la vocalise, maîtrise impeccable de la messa di voce, perfection du trille, délicatesse des phrasés. Pour s'en convaincre, qu'on écoute l'attaque du célébrissime « Care selve » d'Atalanta, et la manière magistrale dont tient la ligne sur cet air sobrement accompagné du continuo. Autre raison de satisfaction, la construction raffinée du programme. Censé évoquer ce concert londonien du 25 mars 1746, au cours duquel Haendel et Gluck furent tous deux mis à l'honneur, l'album permet d'entendre, succédant aux airs de Giziello, quelques pages de Gluck rarement interprétées. Deux de ces airs, ceux de La Sofonisba et de La Corona, sont enregistrés ici en première mondiale. Si la scène « Berenice, che fai », extraite de l'opéra Antigono, avait été créée par un castrat soprano, ce qui justifie ici l'interprétation de ce rôle par un soprano masculin, le rôle masculin de Massinissa de La Sofonisba avait, quant à lui, été créé par une femme. Samuel Mariño nous gratifie également d'un air d'un personnage masculin d'Antigono, Demetrio, occasion pour l'auditeur d'entendre avec l'aria « Già che morir » une version antérieure du sublime « Che puro ciel » qui devait compter parmi les plus beaux fleurons du premier opéra réformé de Gluck, Orfeo ed Euridice.

Cet album ne manque donc pas de beautés musicales. Y contribuent grandement le chef d'orchestre ainsi que son ensemble issu du festival Haendel de Halle. Espérons que le jeune chanteur ici découvert saura conduire sa carrière avec prudence, afin de préserver aussi longtemps que possible un instrument plein de promesses, mais dont on perçoit déjà également un certain nombre de fragilités.

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