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Gabriel Rigaux écrit des mélodies françaises sensibles et profondes

Pour son premier disque, le compositeur , né en 1982, s'attache à la mélodie française sur des textes d'Apollinaire, Jaccottet, Aragon et Artaud.

Dans une gentille préface, Francois Leroux explique les difficultés qu'il y a de nos jours à composer des mélodies françaises. Effectivement, le jeune compositeur ne choisit pas la facilité. Écrire de nos jours dans ce genre qui tombe en désuétude (surtout faute de public), relève d'un acte de résistance. Le faire sur des poèmes de Philippe Jaccottet ou d'Antonin Artaud, qui ne sont pas exactement faciles, témoigne d'un attrait évident pour la rigueur et l'exigence. Enregistrer un premier CD à fonds majoritairement propres avec onze musiciens différents n'a pas dû être simple, et faire tout cela quand on n'a même pas quarante ans, il faut bien y voir une audace et une ténacité fortes.

Ces traits de caractère se retrouvent dans son écriture. Il faut sans doute la qualifier de post-moderne et de néo-classique en même temps, avec par ci par là des éclats de Poulenc ou des souvenirs de Ravel, mais le style propre de Rigaux est bien affirmé, intense, concentré, sans aucune superficialité. Les mélodies sont belles, parce qu'elles servent avec fidélité des textes magnifiques, et qu'elles sont enchâssées dans une écriture pianistique éblouissante, tantôt brillante, tantôt brutale au besoin, souvent raffinée mais toujours riche de signification. C'est peut-être ça qui est le plus touchant : Rigaux se met au service de la poésie. Il en exprime les différents niveaux de sens, jusqu'aux résonances et arrière-pensées qui en émanent. La façon dont le piano décrit l'évanescence des plumes de neige à la fin de Ma bien-aimée, d'après un poème d'Apollinaire, avec leur suggestion à la fois angélique et érotique, est d'une beauté ineffable. Le vis-à-vis des Lunes de Jaccottet, (qu'admire à juste titre François Leroux), expose des astres opposés par leurs caractères, mais unifiés par leur climat gelé et mystérieux, suspendu sur l'horizon. Les eaux et les forêts, d'après le même auteur, nous entraîne dans une ambiance bucolique et foisonnante, rehaussée de fraîcheur et de verdeur jusqu'à l'ivresse par les sopranos légers et les petits duos ou trios de musique de chambre. La dérision déjantée du cycle Antonin Artaud dans Le Théâtre de la Cruauté confine par éclats au tragique, et porte à plein la question de l'existence de Dieu. Le Vaste Monde bénéficie d'une grande palette d'expressivité, lyrique, brillante et parfois même un peu répétitive à discrétion, ce qui jette une belle lumière sur les textes d'Aragon. Tour à tour vif, joyeux, mélancolique, tumultueux, réflexif ou éthéré selon la lecture musicale qu'il fait de tel ou tel poème, Rigaux sert et soutient pleinement les textes qu'il a choisis, toujours avec sérieux, respect et distinction. Ce faisant, il se met à leur niveau, qui est celui d'un talent très élevé.

Investis et appliqués, les différents artistes ont manifestement cédé au charme envoûtant et grave de , et lui donnent le maximum. Chacun d'eux mérite des éloges et des remerciements, avec une mention toute particulière pour la délicatesse des pianistes Mayuko Ishibashi, Nicolas Dross et Orlando Bass. On pourrait souhaiter des chanteurs avec des personnalités d'interprète un peu plus affirmées, mais ce que font Sébastien Lemoine, Benjamin Woh, Olga Olistova, Alexandrine Lerouge-Monnot et Marie Kalinine est déjà très remarquable, en ce qu'ils suivent parfaitement le texte des poésies et les intentions du compositeur.

a d'autres projets. Il faut bien le surveiller au rayon « classique » : c'est certainement un grand nom qui apparaît dans le paysage musical actuel.

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