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Un chant d’amour : Les Mille et une définitions du théâtre, par Olivier Py

Si tant est que l'opéra est du théâtre, ce que le mélomane rechigne parfois à reconnaître, on souscrira sans réserves au vibrant opuscule qu'Olivier Py, metteur en scène de théâtre et d'opéra, avait livré en 2013 et qu'Actes Sud réédite opportunément en 2020.

Mille et une définitions issues d'autant de nuits passées dans les théâtres : , écrivain, se travestit en Shéhérazade. Tout aussi diaboliquement que l'illustre devancière, il sait instiller chez le spectateur le désir de parcourir sans lasser un ouvrage que l'on avait dès l'abord imaginé en bréviaire destiné au cercle des gens de théâtre. Il s'agit bien sûr d'un manifeste politique pour tous (au sens aristotélicien : l'homme est un animal politique) venant rappeler à l'oublieux combien le théâtre est là depuis la nuit des temps, en maître de cérémonie social comme en penseur/panseur du questionnement existentiel. L'amateur d'opéra ne devrait qu'acquiescer.

La très belle préface, que cet « encéphalogramme esthétique » auquel se livre l'auteur inspire à Georges Banu, prévient que ces mille et une définitions, généralement très brèves, d'une grande « précision clinique », « affranchies de la masse pondérale épique », ne sont ni des questions ni des réponses mais des aphorismes. En forme de petits cailloux, et, à dessein, de balises le long du chemin d'une vie d'homme.

D'une lecture de type déambulatoire, où l'on réhabilite à l'envi le verbe être, les uns et les autres fixeront telle maxime (« Le théâtre est le miroir du monde qui est le miroir du théâtre » ou « On ne peut dire la vérité qu'à un inconnu » ) plutôt que telle autre (« Le théâtre est un sculpteur qui sculpte avec le souffle » ou bien « Le théâtre est ce qui permettra à d'aucuns de dire au dernier soir : j'ai vécu »). L'offre est pléthorique et la profession de foi qui s'en dégage n'étonne pas de la part d'un artiste engagé qui, quelle que soit l'œuvre qu'il monte, met toute son énergie au service d'une réflexion en profondeur sur le monde qui l'entoure. La plupart des numéros pourraient donner matière à des sujets d'examen (« Le théâtre est un pansement sur la blessure du langage », « Le théâtre, c'est rendre le monde habitable », « Comme la mort, le théâtre unit ce qui était désuni », « Le théâtre est un esclave affranchi du religieux »…) : vous avez quatre heures !

L'ensemble, libertaire de ton (« un poison mortel pour la jeunesse », prévient ), incitant parfois à l'élargissement du vocabulaire (prosopopée, cynégétique, thaumaturge, ontologie, eschatologique, anthropogénie, hypostasie, ipséité…) est généralement d'une grande accessibilité. On y fait leçon d'histoire : « Le théâtre a commencé sous le soleil et s'est continué sous les lampes », « Le théâtre est ce lieu où ce monde est sauvé ici ce soir ». On y touche à la métaphysique : « Le théâtre est ce qui nous permet de contempler la mort sans en mourir » « Le théâtre est le plus court chemin pour aller jusqu'à soi ». On y fraternise : « Le malheur, c'est l'impossibilité de faire récit. Le théâtre est un récit fait pour celui qui n'a plus de récit ». On y adresse quelques salutaires rappels : « Confondre la mode et le présent est la grande maladie de la mise en scène contemporaine ».

« Le théâtre est une boussole dans la main d'un humaniste » On imagine qu'une Ariane Mnouchkine (tiens, pourquoi n'a-t-elle jamais rejoint le monde de l'opéra lorsque dans les années 80, les metteurs en scène de théâtre ont été sollicités, comme le rappelle l'actuel directeur du Festival d'Avignon, pour redonner du sens à ce qui se mourait ?), autre possédée de théâtre, et autre libre-penseuse, aurait pu, elle aussi, être la Shéhérazade de Mille et une autres définitions.

De ce chant d'amour, retenons pour finir : « Le rideau de théâtre est la paupière du monde », « L'écoute du public agrandit le geste de l'acteur jusqu'à l'Expérience absolue », « Le théâtre est agoraphilie », « Le paradis c'est les autres », « Nous pensons ensemble, donc je suis ». Des définitions qui n'en finissent pas de résonner, aujourd'hui, après que l'édition 2020 du Festival d'Avignon s'est vue, comme celle de Bayreuth, contrainte à l'annulation par le contexte monstrueux de cette année de pandémie.

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