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À l’ombre du clavier, la poétique de la compositrice Florentine Mulsant

Les œuvres pour piano de offrent une richesse toute… littéraire. Du moins, elles suggèrent les mots et, derrière eux, une respiration que les trois interprètes se sont appropriées avec beaucoup de tempérament.

Les neuf opus réunis ont été gravés en public, lors de l'édition 2019 du Festival Musiciennes à Ouessant et dont l'une des interprètes, , est la fondatrice. Quatre grandes partitions sont encadrées de cinq cycles qui regroupent ce que l'on pourrait qualifier de séries de miniatures.

Les grandes pièces, tout d'abord. La Passacaille op. 29 (2004) ouvre le programme sous les doigts d'. La forme classique choisie fait songer au jeu de l'orgue, et plus expressément à l'univers du Cavaillé-Coll. Les résonances, la pédalisation évoquent le Liszt de la maturité. L'austérité de l'écriture que l'on reconnaît dans d'autres œuvres de la compositrice (on songe notamment à la Suite pour violoncelle seul) joue sur les modes d'attaques, le resserrement progressif et de plus en plus dense des tensions qui aboutissent à une toccata. Amers op. 4 (1984) joué par est inspiré par la Strophe IX de Saint-John Perse. L'espace entre les notes suggère une volonté de construire un récit, d'interroger et d'utiliser le piano dans sa dimension percussive. Le jeu est racé, élégant, sans l'ombre d'un pathos. Uno op. 8 (1992), interprété par est décrit comme « une étude poétique en forme de variations » assez proche, il est vrai, du souvenir d'un Dutilleux. Le caractère est tout aussi épuré, la musique jouant avec l'oreille de l'auditeur qui, d'une harmonie à l'autre, compense mentalement le silence presque naissant. Sous les doigts de , Blue Toccata op. 66 (2016) évoque le déhanchement rythmique d'un Prokofiev sans la radicalité agressive du Russe. Une sorte d'habillage aux extrémités de la partition dont le cœur, au centre, propose un rêve immobile.

Les cycles, ensuite. Les Sept Lumières fugitives op. 55 (2014) traduisent le plaisir de poser de grands accords, clusters, notes piquées, pulsations ou arpèges puis des sonorités étales. Il y a une certaine « gourmandise » à restituer avec un élan héroïque, ces effets de lumières dont souligne la franchise. Les Sept Préludes op. 70 (2017), les Six Préludes op. 77 (2018) joués par Lydia Jardon puis les Onze Préludes op. 78 (2018) sous les doigts d' rendent, qui sait, hommage à ceux de Scriabine, voire à Rachmaninov (le début du Prélude n° 3 op. 70 fait songer à l'Étude-Tableau op. 39 n° 6). Ces pièces sont aussi de petits théâtres de musique chatoyants avec quelques harmonies debussystes, mais sans que l'on puisse détourner l'indépendance esthétique de la compositrice. Les deux pianistes s'approprient, à l'évidence, ces pages souvent virtuoses sur le plan rythmiques, mais d'une profonde sincérité. Composés après un voyage en transsibérien, les Onze Préludes op. 78 jouent de séries d'impressions. Paradoxalement, celles-ci paraissent davantage d'une veine debussyste (le Français appréciait particulièrement la musique russe et ceci explique sûrement cela) sur le plan harmonique et comme les échos lointains de quelques préludes ou études. Plus anciennes car datées de 1988, les Huit Pièces op. 6 révèlent une écriture alors plus expérimentale, soucieuse de poser les structures d'une pensée libérée ultérieurement des contraintes formelles de la modernité. Le jeu d' évite avec bonheur tout assèchement de ces pages cinglantes.

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